Police: le boomerang des moyens contre le gouvernement

Le 15 février 2011

Si certains syndicats policiers ont soutenu les magistrats dans leur combat, c'est d'abord parce qu'ils sont d'accord sur un constat: la politique sécuritaire en France est un échec.

La confrontation permanente de l’ancien ministre de l’Intérieur aujourd’hui Président de la République Nicolas Sarkozy avec la justice ne se cantonne plus aux seules questions de sécurité. Il a d’abord considéré que les décisions judiciaires ne répondaient pas aux attentes des citoyens qui demanderaient plus de répression.

Nous pourrions  démontrer qu’il y a moins de crimes de sang, moins de « serial killers », mais il y a toujours eu et il y aura toujours des crimes horribles. L’opinion publique réclame toujours plus de sécurité, elle est effrayée par les crimes de sang, mais c’est la petite et moyenne délinquance qui la frappe le plus souvent et qui la préoccupe. La tentation est grande d’agir sur ce terrain propice aux manœuvres politiques.

Rompre avec cette idéologie du tout sécuritaire de la droite

Je me demande toutefois ce qu’il adviendrait si un crime horrible survenait  à moins d’un mois de l’élection présidentielle de 2012. Cela sauverait-il le gouvernement actuel ou bien serait-ce au profit de l’extrême droite ? Les risques de manipulation de l’opinion existent et des relais sont disponibles dans certains médias pour amplifier l’impact d’un fait divers.

L’abandon de la police de proximité peut expliquer tant l’état d’inquiétude de la population que l’échec du gouvernement dans la lutte contre la délinquance. Mise en œuvre à partir de 1998, cette police de proximité avait été mal conçue et très mal présentée, de manière idéologique, intraduisible dans l’organisation et les stratégies de la police. La gauche devait rompre avec cette idéologie du tout sécuritaire de la droite, mais bien qu’ils s’en défendent, les responsables de la police nationale avaient alors ignoré la notion de répression. Les policiers se sont alors sentis démunis et la population mal protégée. J’étais alors à la tête du commissariat de Beauvais qui avait été choisi comme un des sites pilotes.

Le concept répondait à un besoin de modernisation de l’institution policière, et du service public. Cependant les réformes engagées par la gauche n’ont pas pu être achevées. En 2002, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy qui avait la main sur les questions de sécurité, le nouveau gouvernement balaie tout se qui pouvait se rattacher à la notion de prévention. On oublie même ce qui pouvait rapprocher la police des citoyens pour ne retenir que la dimension sécuritaire.

Dans la Police Nationale, il est conseillé aux commissaires de police d’oublier les idées du passé pour axer leur action répressive sur les techniques de maintien de l’ordre, qui se sont avérées inefficaces. En effet contrairement aux affirmations du ministre de l’intérieur les chiffres de la criminalité n’ont pas baissé depuis 2002, ils ont même augmenté dans les rubriques les plus sensibles: les atteintes aux personnes.

Les techniques de maintien de l’ordre sont-elles utiles ?

Depuis 2002 la Police Nationale et la gendarmerie disposent d’outils plus modernes, les fichiers automatisés ont été améliorés, la police technique et scientifique largement développée. Cette modernisation entamée depuis Pierre Joxe lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, poursuivie par des ministres de gauche comme Jean-Pierre Chevènement, n’a pas profité à la police généraliste, celle des petits commissariats qui traitent la masse de la petite et moyenne délinquance.

Dans les commissariats on vit toujours dans des locaux mal adaptés, même lorsqu’ils sont récents. Parfois les gardiens de la paix vivent dans l’insalubrité, comme les personnes gardées à vue, mais pour la police c’est en permanence. Les policiers sont toujours à la recherche de véhicules en état de marche. Souvent on se cache les clés afin de préserver les véhicules en bon état. Là où il faudrait les personnels les plus expérimentés on affecte des jeunes sortis d’école, avec les risques que cela comporte. Il s’agit de risques physiques bien sûr mais aussi des responsabilités qu’on encourt en cas de dérapage : l’action des policiers peut engager leur responsabilité pénale, civile, et administrative. Les syndicats de policiers parlent à juste titre « d’insécurité juridique » pour ceux d’entre eux, de plus en plus nombreux, qui sont exposés au sein des quartiers difficiles.

Toutefois les techniques de maintien de l’ordre, qui sont favorisées aujourd’hui, exposent davantage les personnels à ces risques. Ce sont en effet des actions collectives qui engagent des personnels en compagnies, sections ou groupes dont il est difficile d’orienter précisément l’action, surtout quand on est coupé du commissariat local et qu’il n’y a pas eu de préparation en amont. Ces techniques sont très peu efficaces. On pourra toujours afficher des dizaines ou des centaines d’arrestations, et dire que 10 000 cages d’escalier ont été visitées, au bout du compte « les prises » sont bien maigres par rapport aux efforts déployés.

Derrière l’affichage statistique il faut apprécier la gravité des infractions relevées. Il s’agit d’outrages, d’usage de stupéfiants (cannabis le plus souvent), au mieux de port d’arme (armes blanches). Des procédures, de plus en plus complexes, sont diligentées pour des infractions mineures qui découragent les fonctionnaires de police. Leur capacité d’initiative est oubliée et ils se mettent à la tâche sur ordre, sans illusion. Ces procédures n’intéressent pas les magistrats qui ne peuvent pas suivre ce flot statistique inutile. En procédant de la sorte c’est tout juste si l’on a pu lutter contre le sentiment d’insécurité. Si la population et les élus réclament une présence policière, ce n’est pas pour deux heures.

On ne fait pas de la police par impulsions, en créant un climat dans lequel la police est plutôt mal perçue. En procédant de la sorte, on ne remplit pas la mission qui est dévolue aux forces de sécurité.

Magistrats et policiers doivent faire des choix

L’étude de la délinquance et son traitement ne peuvent se limiter à l’angle réduit des statistiques. Un fait constaté n’est pas égal à un autre fait : il faut mesurer son impact sur les victimes, sur l’environnement immédiat et même estimer l’atteinte portée aux intérêts de la société. S’il convient d’évaluer les performances, les phénomènes de délinquance n’autorisent pas à utiliser les mêmes instruments de mesure que ceux des activités industrielles et commerciales. Si l’on observe les effets néfastes sur les salariés comme sur les entreprises de ces secteurs, ils ont montré leurs limites. L’évaluation de l’activité des services de police et de gendarmerie devrait être partagée à l’échelon local avec les maires et les conseils municipaux. Il en est de même de la définition des objectifs qui guident l’action des services de sécurité. Le rôle de l’État ne serait pas contesté par ce partenariat local.

Aujourd’hui les magistrats comme les policiers sont contraints de faire des choix faute de ne pouvoir tout appréhender. Il convient de remarquer ici que tous les petits désordres ne devraient pas être judiciarisés. Si l’on veut respecter le principe de la séparation des pouvoirs il ne faut pas « gâcher » l’usage des institutions à vouloir tout traiter.

Dans mes commissariats je consacrais parfois une journée à lire toutes les plaintes, toutes les mains courantes, tous les rapports de police. C’était une façon de percevoir l’activité générale du service sur 24 heures. J’en concluais à chaque fois que nous ne pouvions aller à l’essentiel face à la sollicitation de la population de plus en plus exigeante, devenue inapte à assurer ce que l’on pourrait appeler le contrôle social. Comme nous ne pouvions garder les procédures pour nous (sous réserve de mes considérations sur la vérité des statistiques) tout était adressé au parquet. Je me suis toujours demandé comment les magistrats pouvaient faire le tri de manière sérieuse, sans jamais se tromper sur le devenir d’une procédure.

C’est la cohérence de la chaine pénale qu’il faut renforcer dès l’origine par des actions concertées sur le terrain avec des objectifs communs. Le cas de délinquants récidivistes pourraient être examinés, notamment quant à leur dangerosité dans leur environnement. Les Groupes locaux de traitement de la délinquance, dirigés par des magistrats avec des acteurs de terrain, semblent être une solution à privilégier pour éviter de s’épuiser à traiter le flot statistique de la délinquance.

C’est peut-être la première fois que l’on voit les syndicats de police,  commissaires de police inclus, être solidaires des magistrats. Des courriers de soutien ont été adressés aux syndicats de la magistrature. J’ai comme le sentiment que le Président de la République se trouve face à un front d’acteurs qui se trouvent aujourd’hui placés en « insécurité juridique et matérielle ».

Pour oublier certaines vives querelles plus ou moins récentes, dans le respect de l’indépendance de la justice, on pourrait espérer que des liens se créeront entre magistrats et policiers qui exercent des métiers difficiles, comportant des enjeux si importants pour notre démocratie.

Article initialement publié sur Police et Banlieue sous le titre “Police-Justice: un front commun?”

Crédits Photo CC FlickR par eisenbahner, Alain Bachellier, xtof, biloud43

Image de Une par ToAd

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