OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Parti Pirate : “L’invention d’une culture politique” http://owni.fr/2012/05/16/parti-pirate-linvention-dune-culture-politique/ http://owni.fr/2012/05/16/parti-pirate-linvention-dune-culture-politique/#comments Wed, 16 May 2012 14:12:35 +0000 S.Blanc et G.Ledit http://owni.fr/?p=110313

Pierre Mounier à la rédaction d'Owni pendant son interview, Paris, Mai 2012

En juin, le Parti Pirate français, lancé en 2009, va vivre son premier vrai test électoral en présentant au moins une centaine de candidats aux législatives La jeune formation, comme ses alter ego des autres pays, décline la ligne de leur grand frère à tous, le PiratPartiet suédois, créé en 2006 : légalisation du partage en ligne, défense des libertés numériques, transparence de la politique, etc. Un programme qui commence à séduire comme en témoigne la présence de deux députés suédois au Parlement européen et leur entrée dans quatre parlements régionaux en Allemagne.

Le Parti Pirate a une image de rassemblement de jeunes geeks sympathiques et inexpérimentés. Pierre Mounier, qui se présente aux élections législatives dans le 20ème arrondissement de Paris (15ème circonscription), étonne : la quarantaine, professeur de lettres classiques, mais aussi fin connaisseur du numérique, puisqu’il est un fervent partisan des digital humanities, les humanités numériques, et tient un blog intitulé Homo numericus, un parfait résumé de son double profil. Comprendre le latin et le code, un cocktail rare. Son engagement auprès des Verts il y a une vingtaine d’année lui donne aussi du recul pour analyser le fonctionnement de sa nouvelle formation.

Il a pour suppléant un profil tout aussi atypique : David Dufresne, bien connu des lecteurs d’Owni, a créé en 1995 La Rafale, l’un des tous premiers webzines français, participé au mini-Rezo, “dinosaure” du web français des années 1990 ; il a co-écrit son Manifeste du web indépendant. Le texte défendait l’idée qu’Internet était le lieu où une information libre, indépendante, participative et pluraliste pouvait – devait – s’épanouir, face à la poussée consumériste.

Il a aussi trainé ses carnets de journaliste d’investigation dans plusieurs “prestigieuses” rédactions avant de partir en freelance pour explorer de nouveaux formats de journalisme sur Internet.

Ensemble, Pierre Mounier et David Dufresne ont décidé de “hacker les élections”, comme ce dernier s’en explique sur son blog :

De la politique, certes. Mais piratée, hackée, hâchée menue.
Ensemble, on écrivit ce petit bout de programme pour notre affiche :

Révolution numérique, mais appareils politiques restés à quai.
Nouveaux usages, mais contrôles d’un autre âge.
Cultures libres, mais marchands aux aguets.
Les nouvelles technologies changent le monde, et elles le font maintenant. Une possibilité s’offre désormais à nous tous: reprendre le contrôle de notre vie publique, ou laisser le Vieux Monde diriger toujours et contrôler encore.
Moussaillons ou vieux loups de mer, déçus de la politique ou utopistes, montez à bord.

La suite ici même. Très vite.
Code is poetic.

Derrière les élans lyriques, Pierre Mounier s’avance avec un discours bien construit, conscient des forces et des faiblesses du Parti Pirate français. Entretien.

Pour quelles raisons vous présentez-vous ?

Les motivations sont de deux ordres. D’une part, j’ai le sentiment que les questions liées au numérique, que ce soit la reconnaissance des nouvelles pratiques de partage culturel ou la défense des libertés numériques ne sont pas bien portées par les partis traditionnels. Les récentes déclarations (lien) de celui qui est devenu président de la République confirment ce sentiment. Il y a du travail, ce n’est pas parce qu’il y a un changement de majorité que tout va être réglé, loin de là.

Deuxième point, qui est tout aussi important, c’est l’impression que le jeu politique traditionnel représente de moins en moins bien les intérêts des citoyens, leurs aspirations et leurs besoins dans leur diversité. La solution ne réside ni dans l’abstention, c’est-à-dire de se dégager complètement, ni dans le vote protestataire, on est plutôt dans un surcroît d’engagement.

Si nous citoyens nous ne nous sentons plus représentés par le système politique actuel, ce n’est pas la faute des hommes politiques, “tous pourris” comme on dit, mais de la responsabilité des citoyens qui se sont dégagés progressivement de cette participation. La seule solution, c’est de participer : voice ou exit. Donc voice. C’est prendre les moyens, avec nos petits moyens, de retourner dans le jeu pour reprendre collectivement le contrôle de la vie publique.

Une des solutions, c’est de présenter des candidats citoyens qui ne sont pas des professionnels de la politique et qui ne le deviendront pas, quel que soit le résultat.

Bien sûr si quelqu’un est élu député, il s’engagera à fond pendant cinq ans, voire dix ans. Mais ça ne doit pas devenir le parcours d’une vie. Dans certains pays, comme en Allemagne ou en Scandinavie, il est normal d’alterner vie professionnelle et engagement public à un niveau local, national, on a même vu des ministres qui ensuite passent à autre chose quand ils ont fait leur temps.
Pour moi l’exemple, c’est Cincinnatus. C’est un modèle politique de la vieille république romaine, il cultive son jardin dans sa propriété pour améliorer la situation de sa famille. À un moment, la république est en danger et on vient le chercher parce qu’on a besoin de l’investissement d’un certain nombre de citoyens. Tite-Live raconte qu’on vient le trouver alors qu’il laboure, il laisse sa charrue au milieu de son champs pour aider la République puis il revient.
Nous ne sommes pas dans le cas d’une République en danger mais c’est important d’avoir cette possibilité.

On fait souvent le parallèle entre les Verts à leurs débuts et le Parti Pirate, vous le trouvez juste ?

Oui, car ils étaient alors peu structurés, très basiques et démocratiques. Il y avait cette possibilité lorsqu’on était simple militant de pouvoir peser sur le débat, d’avoir voix au chapitre. Avec un copain, j’étais engagé depuis un an, lors d’une AG locale à Paris, du temps où Waechter était à sa tête, nous proposons une motion intitulée “à gauche”. Tous seuls, sans appui, nous la présentons et elle passe. C’était la première fois qu’une motion en rupture avec la ligne “ni droite ni gauche” était adoptée. C’est très satisfaisant, cela donne foi dans le système politique de savoir que ce que l’on défend a une chance d’être pris en compte.

Pensez-vous que ce qui a manqué aux Verts, c’est l’Internet, qui facilite la mise en place d’une démocrative participative, comme on le voit avec LiquidFeedbackpar exemple ?
Le tournant des pirates allemands

Le tournant des pirates allemands

Ce dimanche, le Parti Pirate allemand est entré une quatrième fois dans un parlement régional. La petite formation ...

C’est un élément, mais je ne pense pas que ce soit le seul. Il y a toujours eu deux traditions chez les Verts, assez opposées. L’une libertaire, un peu anarchiste, prônant le partage du pouvoir, c’est “faire de la politique autrement” pour reprendre le slogan de l’époque.

L’autre tradition est liée à la thématique principale sur laquelle est les Verts, l’écologie. L’écologie politique est très liée à l’écologie scientifique, du coup il y a pas mal de scientifiques. Cette tradition que je vais appeler un peu scientiste, consiste à dire “il y a une crise écologique, il y a une vérité scientifique sur cette crise écologique, qui implique que l’on va prendre telles mesures”, et on peut pas discuter. Il existe donc une tradition autoritaire chez les Verts, en conflit avec la tradition libertaire. Et il me semble qu’à un moment, il y a eu un basculement.

De nouvelles traditions politiques sont aussi entrées chez les Verts à l’occasion du changement de majorité, en particulier lorsque Dominique Voynet a pris le pouvoir.

Les technologies toutes seules ne font rien, ce n’est pas parce qu’on a Internet que cela change fondamentalement le mode d’organisation d’un parti politique et qu’il est démocratique dans son fonctionnement interne, la culture politique des gens compte aussi.

Est-ce que le schéma que vous décrivez se reproduit au Parti Pirate, quelle est la culture politique des membres ? Est-ce qu’il y en a une ? Ou est-elle en perpétuelle invention ?

On est plutôt dans une phase d’invention d’une culture politique. La plupart des militants et des responsables sont très jeunes, la vingtaine. Je trouve cela très bien, ce ne sont pas des militants qui ont ce passé, parfois passif, de traditions politiques antérieures au Parti Pirate.

Ils sont frais mais cela ne signifie pas qu’ils sont dénués de culture politique.

Cette génération construit son expérience et sa culture politique à partir d’expériences fondatrices : la loi Dadvsi (loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information) et la loi Hadopi.

Il y a eu le sentiment d’un déni de démocratie et quand je discute avec ces militants, on observe un phénomène de prise de conscience, ils se disent : comment peut-on faire ? Ils essayent  d’inventer des choses, avec Internet, pour le coup, comme par exemple la plate-forme démocratie liquide s’inspirant de l’expérience allemande.
Alors évidemment, c’est bricolé, il y a beaucoup d’aspects négatifs, mais le fond est bon et la direction dans laquelle ils se dirigent est très intéressante.

Quels sont les aspects négatifs ?

C’est bordélique, ça part dans tous les sens, les gens s’engueulent en permanence, les forums, c’est terrible.

Comment parvenir à ce point d’équilibre : rester frais tout en gagnant en maturité ?

Je ne sais pas si c’est un point d’équilibre, c’est plutôt un processus, et ce que je dois reconnaître, c’est que les responsables actuels, Maxime Rouquet et Baptiste Marcel, font un travail remarquables, . Le conseil administratif et politique (CAP), qui est un peu l’exécutif, fait un important travail de cadrage, tout en gardant un mode de fonctionnement ouvert et démocratique.

C’est là que la mobilisation des outils technologiques est importante. Par exemple, le programme a été voté en assemblée générale. Il est composé de deux parties, une innovation que je trouve intéressante : une partie obligatoire et une partie de mesures dites compatibles que les candidats choisissent de porter ou pas. Voilà un processus à la fois cadré et ouvert, un bon exemple de ce point d’équilibre.

L’exécutif se réunit tous les mardis soirs sur un serveur vocal qui s’appelle Mumble, ouvert à tous les adhérents. Ils peuvent assister aux discussions, y participer. Le compte-rendu est publié le mercredi. C’est un mode de fonctionnement transparent. Tout n’est pas parfait mais il y a une invention politique dans le détail et le fond.

Pierre Mounier à la rédaction d'Owni pendant son interview, Paris, Mai 2012

Vous avez envie de faire partie de cette instance ?

Il y a une deuxième instance, le conseil national, qui est une sorte de parlement, dont je suis membre. Il fonctionne sur un mode moins réactif et actif au jour le jour que le CAP, ce qui est normal, c’est un exécutif. Nous faisons deux réunions par mois sur Mumble, c’est moins impliquant et cela me convient pour l’instant.

Dans la plupart des partis politiques, et j’en ai fait l’expérience chez les Verts, c’est tout ou rien. Soit tu es bouffé par l’engagement et tu ne vois même plus ta famille, tu deviens un professionnel, ou tu sautes. Sinon, tu es réduit au rôle d’agitateur de drapeaux dans les meetings ou de colleur d’affiches.

Il me semble très important pour un parti de nouvelle génération, de l’ère Internet, d’offrir la possibilité de cette progressivité d’implication.

Vous communiquez beaucoup à l’international, pour vous inspirer ?

On regarde pas mal ce que font les Allemands. L’implémentation de la plate-forme LiquidFeedback vient d’eux, on a repris des logiciels.

Comment allez-vous faire campagne concrètement, alors que vous partez sur le principe d’une campagne zéro coût ?

Le principe est de dire que, puisque nous présentons des candidats citoyens non professionnels, il faut les aider à faire campagne en fonction de leurs moyens, avec des kits.

C’est là qu’il y a un paradoxe : le système de financement public des campagnes électorale et donc de la vie publique, qui est censé établir une forme d’égalité entre les partis, du fait de sa complexité, accroit le ticket d’entrée. Il y a des systèmes de contrôle assez sévères et en particulier à partir du moment où le compte de campagne enregistre un euros de dépense ou de don, tu es obligé d’avoir un expert-comptable, c’est 300 euros minimum.

Le compte de campagne concerne l’organisation – les meetings, le tractage, les affiches -. Mais une grosse partie des dépenses touche la campagne officielle : l’impression des bulletins, des circulaires et des affiches officielles. J’ai 77 000 électeurs inscrits dans ma circonscription, les frais s’élèvent en moyenne à 3 000 euros, c’est plus qu’un mois de salaire, et le Parti Pirate ne peut pas les sortir. D’où notre appel à dons.

Le Parti Pirate a proposé de faire les impressions en fonction de nos moyens, ce ne sera pas 100% des votants, mais 10 ou 20%. Concernant les circulaires, comme c’est envoyé par la Poste, c’est difficile de n’en imprimer qu’une partie.
Du coup, j’étais parti sur une campagne double zéro, 0 sur le compte de campagne, 0 dépenses officielles ou très très peu, juste pour imprimer une partie des bulletins. On fait donc tout sur Internet : les gens peuvent imprimer la circulaire et le bulletin de vote. C’est sympa mais ça plombe la campagne.

Vous allez faire les marchés ?

Non. Je pense que ça ne sert à rien. Je trouve que contrairement à d’autres pays comme l’Allemagne, les espaces publics en France sont totalement dévitalisés. Ce qu’on voit sur les marchés c’est glauque. Les gens sont en train de faire leurs courses et le candidat leur vend une salade de plus. Il n’y a pas de véritable échange ou de véritable débat.

Ce sur quoi je travaille, c’est sur l’organisation de débats publics. Pas sur les marchés, mais des débats publics où viennent ceux qui sont intéressés, sur différents points du parti pirate. De telle manière qu’il puisse y avoir cette discussion. Je l’explique d’ailleurs dans ma profession de foi. Je ne vais pas chercher à vendre ma salade aux électeurs.

Ce qui m’intéresse, c’est comment est-ce qu’ensemble on va pouvoir discuter, et commencer à construire des processus de discussion et donc de concertation, pour prendre ensemble des décisions publiques. C’est là que la plateforme démocratie liquide entre en ligne de compte. Ce sur quoi j’aimerais m’engager vis à vis des électeurs, c’est à ce qu’il y ait des processus de consultation permanents sur les sujets discutés à l’Assemblée. Je suis conscient que cela irait à l’encontre de l’esprit des institutions.

Le mandat de député n’est pas un mandat impératif. Le député, lorsqu’il est élu, il fait ce qu’il veut et n’est pas tenu d’appliquer le programme sur lequel il a été élu. Il n’est pas responsable devant ses électeurs mais devant la nation. Ce que je veux faire, et proposer, c’est de hacker ce truc là. De le pirater. Et de dire que l’esprit des institutions, cela ne marche plus.

Ce que je veux faire, c’est me transformer en député responsable justement devant ses électeurs. Et qui avant de prendre part à un vote important à l’Assemblée nationale, revient devant ses électeurs, organise des débats publics et, pourquoi pas, organise une consultation sur une plateforme de démocratie liquide. Et se sent tenu par ce qui a été voté par les électeurs de sa circonscription. C’est totalement anticonstitutionnel. Pas au sens juridique mais au sens de l’esprit de la loi. Mais cela me semble être un bon moyen pour articuler démocratie représentative et démocratie directe. Aujourd’hui, on a une opposition forte entre un système représentatif qui n’est ni direct ni participatif, et des gens qui font des expérimentations de démocratie directe mais qui à mon avis sont insuffisantes. Il me semble que l’un et l’autre doivent être articulés.

Vous avez discuté avec les formations politiques traditionnelles ?

Pas vraiment. Ma candidature est toute nouvelle, et les autres candidats n’ont pas lancé leur campagne. Mais la candidate verte va lancer sa campagne par une réunion publique, et j’irai sans doute discuter avec elle.

On parle beaucoup des difficultés du PP à s’imposer par rapport à ses homologues allemands. Les raisons avancées ont souvent trait au système électoral. Mais il va bien y avoir un moment où le PP français devra sortir de ces histoires de campagne à 0 euros, pour au moins recevoir des dons. C’est difficile de se propulser dans l’espace public sans trésor de guerre, non ?

En France, c’est la première élection où il y a une volonté de présenter des candidats à une élection générale. Là, c’est le premier coup, donc on fait avec ce qu’on a. L’étape suivante, c’est les européennes de 2014. Et ça va être très intéressant, parce qu’il y a l’idée d’une plateforme européenne des différents partis pirate qui a été formulée à Prague. Par ailleurs, c’est un scrutin de liste et proportionnel, il y aura des choses à faire. Et on a plus d’un an pour s’y préparer. L’objectif est bien de se structurer et d’avoir plus de moyen.

Pirates de tous les pays

Pirates de tous les pays

Objectif : les Partis Pirates au Parlement européen en juin 2014. Ce week-end à Prague, nous avons suivi la conférence du ...

Soyons optimistes, et imaginons que le PP parvienne à avoir plus d’envergure dans la vie politique française : il ne devra pas pour autant oublier ses origines. Ne pas oublier qu’il a pour objectif de réformer le système politique actuel, pour continuer de permettre des candidatures citoyennes. S’il l’oublie, il devient comme les Verts.

On dit toujours que l’Allemagne est avantagée parce qu’il n’y a pas cette fameuse barrière des 5%, mais de fait il y a eu un saut qualitatif important en Allemagne. Les pirates sont passés de pas grand chose à une présence dans quatre parlements. Ils ont quelque chose en plus où c’est le climat et le contexte politique qui est vraiment différent ?

Il y a plein de paramètres très différents. L’exemple allemand est intéressant, mais à mon avis on peut pas en faire grand chose ici. Premier paramètre : la culture technologique est bien plus élevée dans la population allemande qu’en France. Le Chaos Computer Club, c’est quand même quelque chose en Allemagne. Ce qu’on appelle en France, “les geeks”, ou plus simplement ceux qui s’investissent sur les thématiques numériques, sont moins nombreux en France qu’en Allemagne. Deuxième paramètre : les allemands ont une tradition démocratique bien plus vivace qu’en France. Il y a un attachement à la vie démocratique qui est bien plus fort que ce qu’on peut trouver en France. Du coup les partis comme le PP montent beaucoup plus vite à mon avis.

C’est une question de culture politique. Il y a sans doute des éléments conjoncturels qui m’échappent, et qui sont liés à la vie politique allemande, comme l’effondrement du parti libéral.

Revenons aux Verts. Cela fait 35 ans qu’ils sont dans le paysage politique. Et ils en sont où ? On peut leur faire pas mal de reproches, mais ils sont victimes d’un paysage politique complètement verrouillé.

Avez-vous un objectif pour cette élection ?

L’objectif pour moi, c’est 5%, ce qui entraîne le remboursement des frais. Je ne suis pas du tout sûr de l’atteindre, mais ça signifierait quelque chose. La composition sociologique du quartier est plutôt favorable. Il est très à gauche, mais au-delà de ça, il est composé pour une grande partie de milieux très populaires, et pour l’autre d’individus travaillant dans les secteurs culturels. Par ailleurs, c’est un quartier dont la population est jeune. On peut espérer qu’elle soit plus sensible aux thèmes portés par le PP.

Imaginons : vous êtes élu député. Quelles sont vos trois priorités ?

Ce sont les points du programme du Parti Pirate, tout simplement. La légalisation du partage non marchand et la réduction du fichage informatique, comme la suppression de la dimension biométrique des papiers d’identité.  Le troisième point n’est pas dans le programme, mais j’aimerais pousser à l’application du référendum d’initiative populaire. D’ailleurs, c’est ce que veut faire le parti socialiste. Et ça me semble très important, parce que c’est aussi un moyen de revitaliser la vie politique et la participation.

En revanche, comme je l’ai dit, je ne le ferai pas sans une consultation du corps électoral, avec débats et discussions.

Comment fait-on pour continuer de hacker sans se faire récupérer, ou rentrer dans le système, comme les Verts ?

Je pense que cela peut être endigué par la mise en place de mécanismes. Des mécanismes de partage du pouvoir par exemple. Là je n’invente pas grand chose, parce que je ne fais que redire ce que disait les Verts il y a vingt ans :

“Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument.”

Le pouvoir ne doit pas être concentré entre les mains d’un seul homme, les directions doivent être collectives et les systèmes de contre-pouvoir efficaces. Ce sont les mécanismes d’ensemble. Après, ça se joue dans les détails. Chez les Verts, il y a vingt ans, il y avait une règle simple : lors d’une réunion, ou d’une assemblée générale, il y a une heure de début et une heure de fin, et on ne dépasse pas. Ça paraît stupide, mais ça sert à ce que les gens qui ont une vie de famille ou des impératifs puissent participer. Parce que sinon, c’est à une heure du matin que le truc vraiment important est voté, et il ne reste que les durs de durs. Avec ce genre de règles simples, on limite déjà les risques de professionnalisation des personnes investies. Après, il faut sans doute des professionnels, mais il faut organiser ces différents niveaux d’investissement.

Je pense qu’un homme politique traditionnel est nécessairement professionnalisé, parce qu’il doit intégrer, intérioriser toute une masse de compétences, de connaissances, d’investissement, de techniques, de stratégies. Lorsqu’on travaille avec Internet, on peut se reposer sur des réseaux et partager beaucoup plus l’information, la faire circuler, la mobiliser. C’est amusant ces moments de campagne : on voit les hommes politiques tout seuls devant leurs micros et ils doivent répondre à toutes les questions sur tous les sujets. Il y a cette espèce de tension qui fait que l’homme politique est censé tout savoir sur tout, tout seul. Ce que j’aimerais, c’est voir un homme politique arriver avec un ordi. Et dire :

attendez deux minutes, vous me posez une question, je n’ai pas le chiffre en tête, je vais vérifier, ou mobiliser quelqu’un pour répondre. Je fais partie d’un réseau et c’est le réseau qui vous répond. Je ne suis que le point de mobilisation de ce savoir.


Photographies à l’iphone et instagramées par Ophelia Noor pour Owni /-)

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Tarnac Production http://owni.fr/2012/03/12/tarnac-production/ http://owni.fr/2012/03/12/tarnac-production/#comments Mon, 12 Mar 2012 08:22:19 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=101598

David Dufresne, auteur du livre "Tarnac, magasin général"

L’affaire de Tarnac, symptôme à un plus d’un titre. Pas seulement d’une nouvelle forme de militantisme dur sur-interprété par des services antiterroristes toujours soucieux de justifier leurs pouvoirs dérogatoires. L’affaire de Tarnac montre aussi des médias qui pendant plusieurs mois ne parviennent pas à reconstituer cette complexité-là sans parti pris. L’information selon laquelle des militants ont bien dégradé des voies ferrées, mais que leurs actes relèvent du vandalisme et non pas du terrorisme, appartient au domaine de l’indicible. Comme si elle ne plaisait à personne.

Comme si, dans les médias, les stratégies de communications des uns et des autres profitaient alternativement d’une chambre d’écho. Celles des services de renseignement, de la police, des avocats, de la ministre de l’intérieur de l’époque, Michèle Alliot-Marie, et des militants politiques proches du groupe de Tarnac. Ce jeux des médias dans l’affaire de Tarnac apparaît tout au long du livre “Tarnac magasin général”, que vient de publier l’auteur et journaliste David Dufresne aux éditions Calman-Lévy. L’affaire judiciaire y passe au second plan et laisse la place à une comédie politico-médiatique. Piquante. Entretien.

L’affaire de Tarnac présente des médias versatiles, reprenant d’abord sans trop de discernement les affirmations policières, puis, dans un deuxième temps, cherchant à démontrer que les militants de Tarnac n’ont jamais dégradé de voies ferrées, avec le même entrain. Comment analysez-vous ce passage entre deux postures radicales ?

Effectivement, il existe un effet de balancier. Il s’est opéré en trois semaines. Dans un premier temps, le discours de Michèle Alliot-Marie se retrouve partout, comme dans ce journal de 13h de France 2 du 11 nov 2008, jour de l’arrestation, peut-être le plus caricatural. Toute la phraséologie policière transpire dans le commentaire. Le reportage dit « Ils avaient une épicerie tapie dans l’ombre » [une sentence aujourd’hui détournée par des cartes postales, en vente dans l’épicerie de Tarnac, NDLR]. Puis les mis en examen, les proches, et les comités de soutien s’organisent et développent leur discours, que certains ont qualifié d’innocentiste, et qui va supplanter le premier. Une raison à cela: dans les journaux, au Monde, à Libération comme à Mediapart, par exemple, c’est une question d’hommes, de journalistes, de rivalités. Comme ce sont des titres où la contestation interne peut s’exprimer, ça s’exprime aussi dans leurs pages.

Pourquoi de nombreux journalistes ont-ils immédiatement adhéré à la thèse policière ?

Il faut comprendre la propagande de départ. Le cabinet de Michèle Alliot-Marie « travaille » alors les rédactions depuis longtemps pour les convaincre de l’existence d’une résurgence de la violence ayant pour origine une nouvelle extrême gauche, qui prendrait son origine dans les mouvements anti-CPE. Le cabinet de Michèle Alliot-Marie a demandé à la Direction centrale des renseignements généraux (DCRG) puis à la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) de monter des dossiers sur ce thème.

Ceux-ci étaient présentés et débattus lors des fameuses réunions du jeudi soir de la place Beauvau [révélées par le livre de David Dufresne, NDLR], des réunions uniquement consacrées à l’anti terrorisme et réunissant les patrons de la police. Joël Bouchité, de la DCRG et Bernard Squarcini de la Direction de la surveillance du territoire (DST, bientôt transformée en DCRI, NDLR) y participent.

La ministre est présente, prend des notes, elle est très attentive et exigeante. J’ai rencontré un certain nombre de participants à ces réunions. Les chefs de la police étaient impressionnés par MAM. Sur le mode: on ne contredit pas un ministre! En outre, en matière d’antiterrorisme, la DCRI va alors être créée, chacun doit prendre un « créneau », c’est le terme employé par plusieurs policiers, devenir légitime dans une spécialité. Bouchité voudrait prendre l’extrême gauche et la contestation radicale tandis que Squarcini ne prendrait que les islamistes.

Ces enjeux de pouvoir et de légitimité créent des effets de loupe considérables sur les sujets qu’ils abordent. Comme par exemple le rapport de juin 2008 du ministère de l’Intérieur, brandissant quasiment le retour d’Action directe. Tout le scénario de l’affaire de Tarnac est préparé dans ce cadre. Et les contacts du ministère dans les médias font le reste. En entretien, Squarcini m’a confié : « pour nous le groupe de Tarnac c’était un pot de feu qu’on laissait mijoter ». Il y a aussi Alain Bauer, le consultant en sécurité de l’Élysée, qui vient d’acheter « L’insurrection qui vient » [un essai politique attribué au groupe de Tarnac, NDLR]. Il lui accorde beaucoup d’importance. Un tel homme d’influence, qui a l’oreille du président, en parle à des amis journalistes. Il en remet aussi un exemplaire à un Frédéric Pechenard, le directeur de la police nationale.

Au moment de l’interpellation du groupe de Tarnac, largement médiatisée, les esprits ont déjà été préparés, mais comment cette mise en condition s’exerce au moment ultime ?

L’enquête préliminaire est ouverte en avril 2008. Au mois de novembre, elle n’est pas encore bouclée. Mais arrive la nuit du 7 au 8 novembre durant laquelle des voies ferrées font l’objet d’actes de vandalisme. Ça fait l’ouverture dans les journaux de 20 heures. L’Élysée s’informe et appelle le Ministère de l’Intérieur, qui appelle les services de sécurité, comme toujours lorsqu’un sujet sécuritaire occupe l’espace médiatique. Certains, dans ces services, veulent attendre. Mais le pouvoir politique exige une réponse médiatique. La Sous direction antiterroriste chargée de l’enquête de terrain voudrait peaufiner ses investigations en prolongeant la surveillance.

Gérard Gachet, porte-parole du ministère de l’Intérieur évoque des SMS de journalistes: la place Beauvau craint alors les fuites. Le pouvoir exécutif choisit le 11 novembre pour bénéficier d’une caisse de résonance énorme, l’actualité étant essentiellement occupée par les commémorations ce jour-là: c’est une constance, en France, le 11 novembre, depuis 1918, il ne se passe rien! À 6h du matin, 150 policiers investissent Tarnac et débutent les perquisitions dans les différents corps de ferme. À 8h32, les perquisitions sont en cours mais déjà un communiqué du ministère de l’Intérieur annonce triomphalement l’opération. Vers 10h un journaliste de France 3 arrive de Limoges, passe les barrages et réalise des images, très fortes, violentes, avec des policiers en cagoule surarmés, alors que l’opération est toujours en cours.

Une heure plus tard environ, vers la fin de matinée, Michèle Alliot-Marie organise une conférence de presse dans son bureau alors que la perquisition est toujours en cours. Mais à ce moment-là, les policiers savent qu’ils n’ont rien trouvé quant à d’éventuels préparatifs d’actes terroristes. Trop tard, la machine est lancée. MAM construit une image qui est celle de ces conférences de presse des années 80, au moment des affaires Action directe et du terrorisme en relation avec l’extrême gauche. Moins de deux heures plus tard, Claire Chazal invite Guillaume Pépy, le patron de la SNCF [victime des dégradations, NDLR] qui renchérit sur le plateau de TF1. Le point d’orgue, c’est la Une de Libération du lendemain qui annonce « L’ultra gauche déraille ». Alors que tous les experts s’accordent sur le fait que les dégradations des caténaires ne pouvaient pas provoquer le moindre déraillement. Toute cette construction médiatique de la place Beauveau a permis de convaincre de l’existence de cette menace terroriste là. Enfin, le lundi matin, l’Assemblée nationale acclame MAM d’une standing ovation. Le film parfait.

Comment cette croyance est-elle balayée puis remplacée par une autre ?

Les gens de Tarnac se sont mis à parler, ils ont signé des tribunes, produit un discours. Puisqu’ils ont été pointés par les médias, ils répondent par les médias. Dans notre époque, les deux vecteurs d’infamie ce sont le terrorisme et la pédophilie, deux accusations médiatiques a priori indiscutables et dont les personnes visées ne peuvent pas se remettre. C’est pour cette raison, d’ailleurs, précisément, qu’il faut les discuter. Et là, un mouvement de balancier s’opère. Les journalistes qui suivent l’affaire établissent une nouvelle narration: l’histoire devient, grosso modo, la bataille «des méchants flics contre les gentils épiciers». De leur côté, des policiers de base, loin des calculs politiques du début, veulent défendre leur travail. Ils se sentent seuls. Certains sont convaincus de la légitimité de leur travail d’autres doutent – notamment de la qualification de terrorisme des actes délictueux. Et puis une interview de Bernard Squarcini dans Le Point marque un tournant, où le ministère de l’Intérieur tente d’adapter sa narration. Il évoque la notion de « pré-terrorisme », affirme que les services « ne fabriquent pas de dossiers ».

Quelles leçons en tire l’appareil sécuritaire ?

Une gorge profonde m’a décrit avec beaucoup de détails comment fut décidé de lancer des « leurres médiatiques », dès que le vent s’était mis à tourné. Pour elle, ceux qui ont provoqué l’incendie ont subi un retour de flamme. Il fallait éteindre l’incendie en tentant de justifier a posteriori cette dérive. Par exemple en organisant diverses arrestations dans les mois suivant pour entretenir le doute, taire les critiques, alimenter les journalistes amis aussi.

À ce titre, j’ai mieux compris pourquoi Bernard Squarcini m’a longuement reçu pour ce livre. Nos rendez-vous faisaient partie des consignes pour tenter de dégonfler l’affaire. Aujourd’hui, beaucoup de policiers me disent que depuis ils ne veulent plus toucher à l’extrême gauche, car ses membres auraient trop de relais dans la presse. Les flics disent, à la fois tétanisés et rigolards: «les autonomes, c’est fini, on ne peut pas les fliquer tranquille.»


Photographies à l’Hipstamatic et portrait via David Dufresne, crédits (D.R)
Couverture réalisée par Ophelia Noor pour OWNI /-)

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Flash-Ball: 15 ans de documents révélés http://owni.fr/2010/11/24/application-flash-ball-15-ans-de-documents-reveles-police-leaks-upian-davduf/ http://owni.fr/2010/11/24/application-flash-ball-15-ans-de-documents-reveles-police-leaks-upian-davduf/#comments Wed, 24 Nov 2010 17:46:15 +0000 David Dufresne | davduf http://owni.fr/?p=36305

Ce sont huit circulaires et un mode d’emploi des FlashBall que nous divulguons intégralement et mettons à la disposition de tous. Ce sont neuf documents officiels issus des services internes de la police; neuf notes pour la plupart confidentielles qui disent la place prise progressivement par les «lanceurs de balles de défense» au sein de l’arsenal policier. 1995-2010: quinze ans de stratégie en quelques pages et en… comparatif libre.

De 1995 (première note connue) à 2009 (dernière note faisant foi et loi), tout s’éclaire, s’expose, se révèle: le Flashball, d’abord réservé à des services d’élite dans des cadres d’intervention stricts et particulièrement dangereux, va se généraliser. Et dans les services, et dans les usages (points 1, 2, 3 de notre graphique et onglet «Les cadres d’intervention»).

D’arme de catégorie 4, le Flashball va gagner au fil des années en précision et en longueur de tir pour devenir ce qu’il est aujourd’hui: une arme de catégorie 1 (cf. onglet «Les armes employées»). Dans l’intervalle, l’équipement a changé: du Flash Ball SuperPro, la police est passée au 40×46 Exact Impact. Un monde qui marque la rupture tactique: adieu l’arme dissuasive initiale, voici le temps du Flashball pour tous (cf. onglets «Les cadres d’intervention» et «En savoir plus»).

De circulaire en circulaire, c’est tout ce glissement qui se fait jour; y compris sémantique (cf. onglet «Les circulaires»): en 1995, le flashball est un «fusil»; en 2009 il est un «nouveau moyen de force intermédiaire [mettant] en œuvre l’énergie cinétique d’un projectile à effet lésionnel réduit».

Paradoxe: plus l’arme est généralisée, et son usage élargi, plus elle est soumise à des restrictions et à des réserves. Année après année, bavure après incident, les «doctrines d’emploi» s’allongent, se précisent, racontent ce que les militaires appelleraient des dommages collatéraux (cf. onglet «Les cadres d’intervention», rubrique «restrictions»).

Mais le paradoxe n’est qu’apparent. Ces rappels administratifs dans les usages sont le prix à payer pour la généralisation de l’arme.

Voici les pièces complètes du dossier.
À vous de les comparer.

Précisions
À propos du nombre de lanceurs de balles de défense dans la police
(cf. graphique de l’onglet «En savoir plus»)

Le total du parc 2010 comprend les armes en dotation, celles destinées à la la formation, les armes cassées ou en réparation. On les retrouve principalement dans les Directions départementales de la Sécurité Publique et «anecdotiquement» en Police Judiciaire.

Selon une source policière, le Bureau de l’armement de la police aurait procédé en février denier à un rappel en catimini de la quasi-totalité du parc des LBD 40×46 Exact Impact. Direction Limoges: l’atelier central logistique de la police nationale. Système de visée? Revu. Munitions? Mise en place de projectiles «moins vulnérants, plus souples pour les opérations de Maintien de l’ordre» selon notre source, qui a suivi la révision de près.

À propos des tableaux investissements et dépenses totales (ci-dessus)

Sources :
*Service interne de communication de la police (Ministère de l’intérieur)
*Procédure d’évaluation du LBD 40×46 (non daté, Bureau de l’armement et des matériels techniques de la Police Nationale)
*Rapport relatif à l’exécution sur l’exercice 2005 de la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure du 29 août 2002 (septembre 2006, n°IGA : 06-064-01 LOPSI, p.75)

Merci au Groupe de travail du 27 Novembre pour sa précieuse aide.

Pour en savoir plus
* Groupe de travail du 27 novembre, groupe d’expertise sur les LBD
* Ministère de l’Intérieur.
* Verney-Carron, fabricant du Flash Ball SuperPro.
* Brugger & Thomet, fabricant du Lanceur 40×46 Exact Impact.

Enquête : David Dufresne [davduf.net]
Design : Fred Bourgeais Upian [upian.com]
Développement : OWNI

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Prison Valley: le webdoc à l’école de la route http://owni.fr/2010/04/14/prison-valley-le-webdoc-a-l%e2%80%99ecole-de-la-route/ http://owni.fr/2010/04/14/prison-valley-le-webdoc-a-l%e2%80%99ecole-de-la-route/#comments Wed, 14 Apr 2010 08:59:03 +0000 Vincent Truffy http://owni.fr/?p=12262

Le 22 avril, Arte.tv publiera le webdocumentaire Prison Valley, présenté comme un « road movie participatif » à la rencontre de l’industrie de la prison aux États-Unis. Sans parler du fond (36.000 personnes incarcérées dans treize prisons construites dans une « bourgade paumée du comté de Fremont, Colorado », le projet présente quelques choix narratifs et techniques intéressants.

Bande annonce

D’abord, Prison Valley n’est un webdocumentaire qu’entre un tas d’autres choses : Arte programme un documentaire tout à fait classique le 12 juin (à 16h50, mais probablement aussi à un horaire auquel la chaîne diffuse en hertzien), accompagné d’une application iPhone (essentiellement les « bonus » du documentaire), un livre illustré sortira en septembre et le tout est accompagné d’un blog qui raconte la réalisation du projet depuis octobre 2009.

Pour la partie plus spécifiquement web, on retrouve beaucoup de procédés employés par Upian dans les précédents webdocumentaires produits par cette société Gaza/Sderot ou Miami-Havana : un mélange photos/vidéos, des écrans partagés, etc. Alexandre Brachet (Upian) expose cette technique (en anglais, ici, avec en bonus, un prémontage de Prison Valley en diapositive 41).

Le contenu

Pour l’image : formellement de la vidéo. Mais de la vidéo constituée de beaucoup de photos (l’un des auteurs, Philippe Brault, est un photographe du collectif L’œil public), animées par des effets de zoom et de panoramique dans l’image (à la manière du documentariste Ken Burns). Beaucoup d’écrans divisés (effet popularisé par le film L’Affaire Thomas Crown, de 1968, largement repris par la série télévisée 24 Heures chrono et les jeux vidéos) qui se résolvent en une image complète.

Pour le son : jamais de silence, même les fiches documentaires sont soutenues par du son d’ambiance en boucle. Des entretiens en voix off ou non, du récit, beaucoup de son direct, une musique d’ambiance signée Bertrand Toty (qui a mixé avec Assassin sous le nom de DJ Toty).

« J’ai été obligé de photographier séparément tous les objets, qui pouvaient servir dans la navigation, les poignées de porte, le réfrigérateur, témoigne Philippe Brault. Ce n’est pas très intéressant, mais ça réapprend l’humilité. »

La narration

David Dufresne, l’autre auteur, explique qu’à force de suivre la même route qui le menait avec Philippe Brault de l’hôtel aux prisons, elle est devenue en toute évidence le fil conducteur de l’histoire : «Mean street : c’est le chemin du film et, ensuite, on va faire des bifurcations. » En suivant l’asphalte, les documentaristes ancrent la structure du récit dans une réalité tangible, l’espace de la route, et maintiennent, malgré l’interactivité, un début, une fin et des rebondissements qui animent le documentaire.

C’est un choix assurément confortable pour des journalistes: celui de la structure en arêtes de poisson :

Ils auraient pu opter pour une matrice plus proche du jeu de rôle, qui n’implique pas nécessairement de conclusion mais une errance continue dans les recoins du documentaire : la constellation.

«Road movie», donc, Prison Valley déroule le processus de l’enquête à Cañon, Colorado : on arrive sur place, on découvre les lieux, on interroge longuement les témoins, on se heurte à des refus aussi… C’est un récit à la première personne (du pluriel, puisqu’il y a deux auteurs, ce «nous» permettant en outre d’inclure le spectateur), souvent en caméra subjective, suivant une structure linéaire (avec des routes secondaires ménagées çà et là), offrant à des carrefours bien marqués la possibilité de creuser (les séquences filmées introduisent une question plus qu’elles ne la traitent, mais la documentation est disponible dans le webdocumentaire) et de discuter, ensemble, d’un sujet (chat, forum, dialogues avec les personnes interrogées).

Il existe en somme une version courte, droite, sans arrêt, de 59 minutes, analogue à la version télévisée, et une version omnibus, combinatoire, construite en rhizome. « Ça change évidemment notre façon de rechercher l’information, explique David Dufresne. On sait qu’on aura de l’espace, du temps, on ne cherche pas à ne filmer que ce qui sera utile, on prend du temps avec les gens. »

En résumé : un propos (un début et une fin, une fil conducteur, des temps forts), une progression (un principe de navigation orienté dans une direction), des digressions (une arborescence, des péripéties pour creuser certains aspects du sujet traité) et une ouverture (un épilogue, une synthèse des informations, des débats, des équivalences dans le contexte français…)

La navigation

Une longue « timeline » valant mieux que ce déjà trop long discours, voici l’outil utilisé pour concevoir Prison Valley : un storyboard d’une bonne dizaine de mètres. Sur la ligne orange, le film linéaire, scénarisé, lisible en continu et les bifurcations prévues. En bleu, les zones d’interactivité. Dans différentes nuances de gris (plutôt bleus ce cette photo), les diaporamas, les scènes non retenues mais visibles, la documentation, les forums…

En point nodal du récit, un QG : la chambre de motel. L’enquête a une durée et les allers et retours au motel la ponctuent. Les parties du programme déjà visitées s’accumulent sur le couvre-lit sous la forme de photos, de cartes, de notes, etc. qui apparaissent au fur et à mesure, sans qu’il soit possible de sauter des étapes. « C’est l’exigence de la forme documentaire, explique Alexandre Brachet, le producteur. On ne peut pas voir la fiche d’un personnage qu’on n’a pas rencontré, visiter l’une des prisons avant qu’elle n’intervienne dans le récit ou passer directement à la conclusion. » Façon de garder la maîtrise du récit, mais aussi l’attention du lecteur zappeur : comme dans un jeu vidéo, il faut gravir les niveaux, pour monter en compétence sur le sujet et être capable d’aborder une plus grande complexité du sujet.

Des fiches personnages présentent donc les interlocuteurs déjà rencontrés, permet de revoir l’interview et de dialoguer ouvertement avec eux sur les forums. Une carte permet de constater le chemin effectué et de revenir sur ses pas, de se situer et d’aller du général au local. Et des fiches thématiques regroupent les séquences et la documentation sur un sujet abordé. Avec clairement la volonté de « mettre à niveau » les débatteurs en donnant à tous le même appareillage critique.

La participation

C’est David Dufresne qui le dit : « On ne traite le sujet que pour amener les gens à s’intéresser à notre sujet et à en débattre. » Le webdocumentaire propose une identification par Facebook ou Twitter. Cela permet d’éviter un pseudonyme de circonstance : au moins, si le spectateur ne se présente pas forcément sous son état civil, le procédé garantit au moins une identité stable.

En se reconnectant, le spectateur reprend le récit où il en était la dernière fois pour une consultation fragmentée (il y a au moins 59 minutes de film, plus les « recoins » qui doublent facilement ce temps).

Le programme signale qu’une connaissance (identifiée) est connecté et qu’il est possible de chatter en direct à propos du documentaire visionné (voir le bas de l’image ci-dessus). De temps à autres, il organise des sondages pour connaître l’état d’esprit du spectateur à tel et tel moment du récit (et le comparer avec l’avis des autres participants). Des forums sont également prévus pour des interventions plus roboratives.

L’interface de Prison Valley propose aussi aux personnes connectées de partager sur leur profil des « moments » du récit autonomisés (par exemple le diaporama de la « cérémonie des matons morts »), dans un objectif clair de « pervasivité » — pour faire sortir le documentaire dans le monde extérieur à l’espace clos de ses pages web.

Enfin, tous les jeudi à 19 heures pendant la « période de diffusion » (c’est-à-dire d’animation éditoriale active, du 12 avril au 29 juin), l’équipe organise des chats avec le monde militant, le ministère de la Justice, un représentant du Parlement européen, le contrôleur général des prisons…, afin de transposer le débat américain dans le contexte français. Après le 29 juin, les pages du webdocumentaire resteront disponibles en consultation, mais sans suivi, animation ou modération.

La production

Le budget engagé est équivalent à celui d’une production télévisuelle classique. Arte annonce une somme de 230 000 euros assumée principalement par les aides du Centre national du cinéma et de l’image animée (90 000 euros), puis par le diffuseur, Arte, et le producteur, Upian (70 000 euros chacun). Il faut y ajouter l’« écriture », c’est-à-dire le salaire des auteurs: 20 000 euros pour chacun payés par Upian (compris dans les 70 000 euros payés par Upian) et une aide complémentaire unique de 19 500 euros du CNC. Soit pour un travail d’un an, une rémunération d’environ 2 500 euros par mois.

Coté recettes, il n’y en aura pas pour la version web : pas d’accès payant, pas de publicité. Arte France a acheté les droits télés pour 10 000 euros. Upian récupèrera en outre 7 500 euros de frais techniques (transposition du web à la télévision) et 2 500 euros de frais divers. La production se paiera aussi le montant de la revente à des télévisions étrangères.

Le diffuseur (Arte.tv) s’est fixé un objectif d’un million de vidéos vues en deux mois et demi (sur Arte ou sur les sites web partenaires : France Inter, Libération et Yahoo!) et d’environ 400 000 visites sur ce seul contenu pour le site d’Arte.

Le genre

L’époque est excitante : chaque webdocumentaire pose de nouveaux jalons dans la façon de raconter les histoires sur le web. Dans un ensemble de professions profondément déprimées (les photographes, les documentaristes, les journalistes), le genre apporte de l’air. Ici, il y a de l’argent et une confiance suffisante pour que les différents acteurs y investissent et s’y investissent sans chercher de gains immédiats, y accordent beaucoup de leur temps, de leur compétence et de leur crédit.

De Voyage au bout du charbon à Thanatorama, de L’obésité est-elle une fatalité ? aux Bras de la France, des Iron curtain diaries à Where is Gary ?, de Behind the veil à Bucharest below ground, de Bearing witness au périple de Cayucos, de The Rise of rural India à Living Galapagos, de Surviving the tsunami à Journey to zero et de Sexual warfare au Corps incarcéré ou à Prison Valley, l’un après l’autre et sans se plier à une grammaire commune, les webdocumentaires égrènent les idées ingénieuses, les mélanges féconds, l’intégration du l’archaïque « multimédia » dans une forme cohérente et articulée avec des interactions inédites. Pourtant, malgré l’émerveillement que l’on peut légitimement éprouver à consulter l’un ou l’autre, malgré l’espoir d’échapper au flux de l’information instantanée (comme on parle de café instantané, lyophilisé et reconstitué) pour revenir au fond, on n’y trouve que peu de choses qui viennent renouveler le langage journalistique.

Le webdocumentaire est une mode, stimulante, qui permet de gérer une transition entre des formes de journalisme traditionnelles, un patchwork de sons, vidéos, photos, textes, documents, et une forme plus aboutie qui reste encore, à mon avis, à trouver.

(Images tirées de Prison Valley © Philippe Brault)

Billet initialement publié sur le blog de Vincent Truffy

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