OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Mythomanie, d’un petit mensonge à l’invention d’une vie http://owni.fr/2011/02/20/mythomanie-dun-petit-mensonge-a-linvention-dune-vie/ http://owni.fr/2011/02/20/mythomanie-dun-petit-mensonge-a-linvention-dune-vie/#comments Sun, 20 Feb 2011 16:29:50 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=47581 « J’arrive dans dix minutes », «  impossible de venir, ma fille est malade », « Bien sûr que je l’ai appelé, j’attends sa réponse », « j’ai la grippe, sous la couette avec 40° de fièvre ».

Toutes ces phrases peuvent être vraies, comme elles peuvent être fausses. Du mensonge à la mythomanie, on pourrait être tenté de croire que seul le degré de « gravité du mensonge » ou sa récurrence définit ce qui relève de la pathologie et ce qui n’en fait pas partie. En réalité, la frontière est bien plus complexe qu’il n’y paraît et le diagnostic difficile à poser.

Bâtir son quotidien sur du rien

Tout le monde ou presque ment au moins une fois dans sa vie, mais tout le monde n’est pas mythomane ou pathomane (simulation d’une maladie). Le sens péjoratif qui en découle le plus souvent est en réalité inexact. Pour autant, si « la mythomanie flirte dangereusement avec la pathologie,  ce n’est pas une maladie en tant que telle » explique le psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron. La personne n’est donc pas malade de mythomanie mais de troubles psychologiques sous-jacents.

Le terme a été employé pour la première fois au début du XXe siècle par le psychiatre Ernest Dupré, de mythos, légende en grec, et mania, folie en latin et se définit comme étant « la tendance pathologique, plus ou moins volontaire et consciente, au mensonge et à la création de fables imaginaires. »

« La mythomanie n’est pas une maladie mais un symptôme souvent relié à l’hystérie du XIXe siècle, complète Hélène Vulser, interne en psychiatrie à Nantes. On utilise maintenant en psychiatrie la classification DSM-IV, dans laquelle la mythomanie n’est pas répertoriée en tant que telle. D’autres diagnostics s’en rapprochent cependant, notamment celui de trouble factice. La mythomanie est d’abord un symptôme qui peut être retrouvé dans certaines pathologies, comme le trouble bipolaire, ou dans certaines personnalité pathologiques: hystérique ou antisociale en particulier. Parfois, il n’y a pas d’autres symptômes et ça ne relève pas de la psychiatrie. ». De fait, la complexité du symptôme ne permet pas de le ranger dans une case comme la toux d’une bronchite ou la fatigue d’une dépression.

Pour Serge Tisseron, la dimension sociale est essentielle, avec parfois une dépression en filigrane :

Les mythomanes sont des personnes malades qui ne font rien d’autre que de raconter des choses auxquelles ils croient, et qui parviennent à le faire croire aux autres, à leurs proches notamment.

Le mythomane a un besoin immense de s’appuyer sur les réactions de son entourage. Et si son histoire est crédible aux yeux des autres, alors c’est qu’elle peut devenir vraie pour lui. Il n’aura alors qu’à asseoir sa crédibilité auprès de son public et de tisser ses mensonges au fil du temps.

Quand l’engrenage pousse au meurtre

S’il n’existe pas de théorie générale sur la mythomanie, on peut néanmoins distinguer deux grilles de lecture. Comme l’explique Hélène Vulser, il peut d’une part considérer qu’il existe « des degrés de mythomanie » : à partir d’un certain stade on considère que la mythomanie devient le symptôme d’un trouble plus grave. L’exemple de l’anxiété permet d’illustrer le mécanisme de la mythomanie : tout le monde est plus ou moins anxieux, à un niveau différent mais seule une minorité peut l’être au point d’en devenir agoraphobe. De même pour la mythomanie, le symptôme, au-delà d’un certain degré, relève d’une pathologie psychiatrique. Et de fait, la mythomanie peut s’amplifier ou diminuer jusqu’à disparaître.

Les faits divers nous fournissent des exemples de ces cas extrêmes. Ainsi, Jean-Claude Romand qui pendant 18 ans s’est bâti une vie. Un quasi record de longévité pour ce faux médecin, faux chercheur à l’OMS, dont les proches ne savaient rien de son imposture et à qui il avait réussi à extorquer 2,5 millions de francs. Craignant d’être découvert, il tue sa femme, ses enfants et ses parents en janvier 1993 avant de tenter de se suicider. Survivant, il est alors condamné en juillet 1996 à la réclusion criminelle à perpétuité. Les plus gros de ses mensonges débutent au moment où il annonce qu’il a eu le concours d’entrée de première année de médecine. Il continue avec un cancer qu’il raconte à ses amis et petit à petit il s’enferme dans un quotidien qui n’existe qu’aux yeux de ses proches.

Certains s’inventent des entreprises comment en atteste le célèbre Philippe Berre, qui a inspiré À l’origine, film de Xavier Giannoli. Condamné par le tribunal de Mâcon dans les années 2000 à 5 ans de prison pour avoir relancé le chantier de l’autoroute A28 dans une agglomération de la Sarthe, il récidive l’an dernier. Il se fait alors passer pour un haut fonctionnaire du ministère de l’Agriculture chargé d’aider les sinistrés de la tempête Xynthia à Charron en Charente Maritime. Au volant d’un 4X4 de l’Office National des Forêts (ONF) il se présente à la mairie en prétendant finaliser des contrat avec les entreprises de BTP. Mais le maire ayant procédé à une vérification en préfecture découvre la supercherie… L’information judiciaire est toujours en cours et il est aujourd’hui incarcéré à Vivonne pour des affaires similaires.

« Ceux que nous voyons en consultation pour des cas de mythomanie sont avant tout ceux qui ont atteint un tel degré de mensonge que les conséquences sur leurs vies ont été importantes » explique Hélène Vulser. Mais parfois lorsqu’un seul domaine est « touché », que ce soit le travail ou la vie personnelle, le reste de l’entourage familial ou amical ne se rend pas compte de la gravité de la situation et c’est ce qui provoque les difficultés de saisir leur souffrance et de la reconnaitre.

« Différentes tournures d’esprits »

Autre théorie, celle de Serge Tisseron qui distingue différents types de mythomanie définis par « différentes tournures d’esprits ». Seuls le but et l’intention des mensonges sont à prendre en compte. Premier cas, on distingue habituellement celui qui ment par regret : « L’inventeur d’une nouvelle vie le fait par regret pour celle qu’il n’a pas eu, comme une sorte de prolongement de la vie imaginaire ». Typiquement, l’exemple de Jean-Claude Romand en fait partie.

Ensuite, deuxième situation, il s’agit de faire revivre un mort. On flirte dans ce cas avec la pathologie : il s’agit d’une manière de vivre son deuil en restant à l‘étape de déni après le choc du décès.

Et enfin la dernière catégorie de mythomanes contient ceux qui mentent pour séduire l’autre et exister à ses yeux. Trois procédés pour cela : se montrer sous son plus beau jour, simuler une maladie dans l’intention de susciter de l’empathie ou encore se poser en victime. Ce fut le cas, très médiatisé, de Marie Leblanc.

Le 9 juillet 2004, cette jeune mère de 23 ans se dit victime d’une agression à caractère antisémite dans le RER D. Montant dans une rame le matin même avec son bébé de 13 mois, elle aurait été prise à partie par de jeunes Africains et Maghrébins qui auraient lacéré ses vêtements, dessiné des croix gammées sur son ventre, renversé la poussette de son bébé, avant de sortir à Sarcelles. Effroi des politiques et émoi populaire.

Le 13 juillet elle avoue au psychiatre que l’agression avait été inventée de toutes pièces. Elle n’en est pas à son seul mensonge : elle ne possède pas le permis de conduire mais avait déjà prétendu à sa mère avoir été agressée au volant de sa voiture en 2003 ; à son compagnon elle dit qu’elle attend des jumeaux mais une seule petite fille verra le jour. Jugée le 26 juillet 2004, elle est condamnée pour “dénonciation de délit imaginaire” à 4 mois de prison avec sursis et d’une mise à l’épreuve de deux ans avec obligation de soins. On notera au passage que tous les mythomanes ne croient donc pas tout ce qu’ils racontent et reconnaissent parfois partiellement le manque de véracité de leurs propos.

Si ce panorama clinique de la mythomanie montre le flou entourant le terme, on se consolera avec cette petite certitude : ce phénomène s’épanouit sur Internet. Rien de plus simple que de pénétrer une discussion d’un forum quelconque, et le jeu de rôle permis par le média peut s’étirer à l’infini.

Illustration Flickr CC Achassignon et David Boudjenah

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Comment l’info est devenue imaginaire. Comment elle révolutionne l’industrie http://owni.fr/2009/12/14/comment-linfo-est-devenue-imaginaire-comment-elle-revolutionne-lindustrie/ http://owni.fr/2009/12/14/comment-linfo-est-devenue-imaginaire-comment-elle-revolutionne-lindustrie/#comments Mon, 14 Dec 2009 13:34:36 +0000 Benoit Raphaël http://owni.fr/?p=6169 Avant d’être un pragmatique fasciné par Internet et la magie du réseau, je suis un rêveur hypnotisé par les livres. Je ne me déplace jamais sans, ils ont toujours accompagné ma route.
Plus les livres me font rêver, plus ils me sont indispensables.
Dans le business, on appelle les rêveurs des créatifs. C’est sans doute ce qui a sauvé ma carrière.

Ma mère me racontait que quand elle était enfant, elle se plongeait dans les histoires qu’ils distillaient et que c’était une façon de s’échapper, de voyager, de vivre autre chose. Aujourd’hui, elle lit 5 romans par semaine, mais elle garde toujours secret cet univers intérieur.
Le livre est l’un des supports matériels de l’imaginaire, la réalité intérieure qu’il partage avec son lecteur ne se diffuse que très rarement à l’extérieur.

J’ai appris à vivre ainsi, comme beaucoup d’entre-vous, sans doute: mon imaginaire intime, bien protégé par à l’intérieur de nous mêmes, et le monde matériel, qui n’en est qu’un très lointain reflet, parce que collectif et contraint.

Picasso et Jung ont dit, chacun à leur tour, que l’imaginaire était aussi réel que le matériel. Parce que le premier nous affectait autant que le second. Parfois plus. Or, tout ce qui nous affecte est réel, même s’il ne se matérialise pas collectivement. C’est la perception que nous avons des événements, réels ou imaginés, à partir du moment où ils nous affectent, qui leur donne corps, qui leur donne une “réalité” à nos yeux.

“Tout ce qui peut être imaginé est réel” (P.Picasso).

Le réel c’est notre perception, ou plus précisément, notre expérience du monde et de nous-mêmes.

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L’expérience, voilà un terme qui définit parfaitement la structure des usages du XXIe siècle. Avec l’arrivée du virtuel, du web et du jeu-vidéo, nous sommes entrés dans la civilisation de l’expérience.

“Tout ce dont je fais l’expérience est psychique, jusqu’à la douleur physique, dont je ne ressens que la transcription psychique” (C-G. Jung).

Cependant, si dans la sphère personnelle, l’imaginaire et le concret se bataillent, dans la sphère sociale, tout ne se fusionne pas aussi aisément. Hors de l’intime, il reste une barrière. On ne peut que constater cette impuissance du monde à incarner parfaitement l’imaginé. Parce qu’il est contraint, c’est à dire univoque, alors qu’il est collectif. Impossible alchimie.

Je me suis souvent surpris à imaginer ce que serait un monde où notre imaginaire s’incarnerait systématiquement dans le réel.
Parce que nous sommes plusieurs, cette “réalité” serait forcément multi-couches.
Le monde matériel est assez limité. Et, majoritairement, sombre et frustrant. Sa vitalité dépend d’un certain nombre de béquilles qui, si elles venaient à disparaître, feraient sans doute s’effondrer tous les espoirs. C’est d’ailleurs la thèse déroulée par le roman et le film “La Route“: les humains s’y suicident les uns après les autres, ou s’entredévorent, après qu’une guerre nucléaire a détruit toute possibilité de se nourrir!

Le monde n’est d’ailleurs pas aussi sombre et pervers qu’il le serait s’il était la transcription parfaite des imaginaires humains. Tout simplement parce que les hommes sont obligés de façonner dans la matière collective ce qu’ils ont dans le coeur.
Or, il y a une rupture entre le monde imaginaire et le monde réel, qui vient du fait que si vous êtes seul à façonner un tas de boue vous pouvez espérer réaliser à peu près ce que vous portez en vous (sauf moi, j’ai toujours été nul en poterie).
Alors que si vous êtes plusieurs, il faut façonner ensemble.
Le process de l’oeuvre collective est évidemment fascinant. Sans doute plus riche qu’une oeuvre solitaire, puisqu’il s’agit d’une tentative de matérialisation de plusieurs imaginaires. Mais il n’est pas vraiment collectif, parce que les mécaniques de collaboration sont déformées par de nombreuses barrières physiques.
Surtout, ce process n’est pas “juste”, même s’il est de temps en temps démocratique. Son évolution dépend généralement du degré de pouvoir des uns et des autres.

Pour faire passer ses rêves dans le monde matériel, il faut donc beaucoup de pouvoir. Avec beaucoup de pouvoir, on pousse plus facilement les autrs à façonner la matière selon nos propres désirs, et la contrainte est moins forte parce que tout, ou presque, s’achète.

Pour que l’imaginaire se concrétise parfaitement, il faudrait donc que le monde autorise la coexistence de plusieurs couches de réalité simultanées.
Tout cela est parfaitement théorique… Mais là où je veux en venir, c’est que: cette capacité à matérialiser collectivement la simultanéité des imaginaires, on la retrouve sur Internet.

Même si cet imaginaire n’est pas, pour l’instant, très fécond: le réseau, trop fragmenté et peu confortable, ne sait pas encore bien intégrer les oeuvres plastiques, littéraires et cinématographiques.
Il est cependant, aujourd’hui, l’unique espace qui donne aux imaginaires cette persistance et cette image socialement perçues que l’on associe généralement à la matérialisation.

Qu’est-ce que cela nous apprend ? Cela nous apprend que le “network”, le réseau qui constitue Internet, ne relève pas de la matérialité telle que nous la percevons depuis toujours, mais qu’il relève essentiellement de l’imaginaire.

Je repense à ce qu’il m’arrive parfois de répondre à des étudiants en journalisme qui me disent qu’Internet c’est la mort du terrain: “Mais Internet est aussi un terrain d’investigation! Même si ce n’est pas au grand air”. Au grand air ou “irl”, comme on dit désormais, “in real life” (dans la vie réelle).

Internet, par sa capacité à développer matériellement, psychologiquement, et socialement le virtuel, a “capillarisé” le réel, au point d’en épouser l’essentiel des caractéristiques. Manque le “grand air”, donc, l’élément physique… mais avec les nouveaux outils tactiles et/ou utilisant des accéléromètres comme le iPhone ou la Wii, cette frontière du physique s’estompe peu à peu.

A sa façon, Internet est en train de donner corps aux théories de Jung et à la citation de Picasso: “Tout ce qui peut être imaginé est réel”.

Il est finalement ce qui se rapproche le plus du concept de l’astral, théorisé (entre autres) par les bouddhistes. L’astral désigne l’espace collectif où se concentrent les rêves avant leur réalisation dans la matière. Je ne sais pas si les bouddhistes ont raison, mais je constate que ce qu’ils décrivent ressemble beaucoup, dans ses mécanismes, à Internet!
Sauf que cet astral collectif relèverait du domaine de l’inconscient. Alors que sur Internet, tout circule au plan conscient. Tout est révélé. Thanks Google…

“La conscience provient d’une psyché inconsciente plus ancienne (ou plus large, NDA) qu’elle et qui, en collaboration avec la conscience ou en dépit de celle-ci, continue de fonctionner” (C-G.Jung)

C’est pour cela qu’il faut insister sur le fait que le Net n’est pas un média, ni un tuyau comme un autre. Mais un espace d’échanges imaginaires en partie matérialisé.

Le Net est donc un espace où s’échangent des informations imaginaires. De la rumeur au détournement, en passant par le témoignage et la révélation, toute information partagée sur le Net doit être considérée comme imaginaire, avant qu’elle n’entre dans un processus de matérialisation.

Comment se définit une matérialisation ? Il s’agit d’un processus collectif de validation dans la perception et de mise en forme d’une “idée”. Que cette matérialisation soit “physique” (papier, télévision) ou plus virtuelle, mais toujours socialement acceptée (média web ou mobile).
Sur le web, cette “validation” est néanmoins beaucoup plus flottante. Et mutante…
C’est le “risque” entraîné par la rencontre, l’entremêlement, de deux mondes jusqu’ici séparés: process imaginaire (puissant et chaotique), process matériel (faible et contraint).

Cela nous en dit également beaucoup sur la façon dont l’industrie doit aujourd’hui s’organiser autour de ce réseau.

Je vais m’en tenir à l’industrie de l’information, puisque c’est mon métier, mais on pourrait appliquer cette réflexion à l’ensemble des secteurs d’activité.

Pendant longtemps (et aujourd’hui encore!), l’industrie de la presse papier, par exemple, s’est considéré comme le coeur, et a entrepris Internet comme une destination. Comme l’une des matérialisations de son métier d’informer et de faire du “lien”.
Or, c’est justement tout le contraire. Aujourd’hui, le coeur de l’information et des échanges sociaux, c’est le réseau. L’industrie de l’info papier étant l’une des matérialisation de ce réseau.
C’est pour cela qu’il est idiot de vouloir monétiser Internet en se disant qu’Internet va remplacer les supports traditionnels.

Internet a surtout renversé le rapport des compétences dans l’univers de l’information, et placé les supports à la périphérie.

Aujourd’hui, je distingue donc deux types de compétences :

1) Les compétences de valeur (réseau):

- Le “journalisme”: à concevoir comme un réseau de compétences (comprenant ceux que l’on appelait jadis les journalistes), dont l’objet est la production et la valeur ajoutée de l’information. Ce journalisme de demain ne doit plus être considéré comme une rédaction physiquement rassemblée, mais comme une dynamique d’échanges. Non plus comme un métier mais comme une compétence. Une compétence forcément partagée qui relève du réseau (Internet), mais plus d’une industrie en particulier.

2) Les compétences de support (industrie):

- L’industrie du papier: elle s’occupe de la destination “print” du journalisme. Elle l’organise et le monétise.
- L’industrie de la télévision: elle s’occupe de la destination “broadcast” du journalisme. Elle l’organise et le monétise.
- L’industrie du web: elle s’occupe de la destination “web” du journalisme. Elle l’organise et le monétise.
- L’industrie du mobile: … etc etc

Cette classification a au moins le mérite de mettre en lumière le drame de l’information d’aujourd’hui: c’est l’industrie du papier qui s’occupe également de la destination “web” du journalisme.
Résultat: elle est incapable de l’organiser, et surtout de la monétiser. Ce n’est pas son métier.
C’est à l’industrie du web d’inventer les supports et les mécaniques web du journalisme. C’est à dire à la génération des start-up du web, celle qui a donné naissance à Twitter, Google, Facebook, Yahoo, Skype ou Amazon.

» Article initialement publié sur Demain, tous journalistes ?

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La révolution numérique considérée comme une quatrième révolution http://owni.fr/2009/11/04/la-revolution-numerique-consideree-comme-une-quatrieme-revolution/ http://owni.fr/2009/11/04/la-revolution-numerique-consideree-comme-une-quatrieme-revolution/#comments Wed, 04 Nov 2009 11:58:22 +0000 Admin http://owni.fr/?p=5173 [NDLR] “La révolution numérique considérée comme une quatrième révolution” est un texte du philosophe italien Luciano Floridi, spécialiste de la philosophie de l’information et professeur Oxford. Cette traduction en français a été effectuée par Patrick Peccatte. Nous reproduisons ce texte avec son aimable autorisation >

En simplifiant à l’extrême, la science a deux manières fondamentales de changer notre compréhension : l’une est extravertie et se rapporte au monde, l’autre est introvertie et nous concerne nous-mêmes. Trois révolutions scientifiques ont eu un grand impact, à la fois selon les deux points de vue extroverti et introverti. En changeant notre compréhension du monde extérieur, elles ont également modifié notre conception interne de ce que nous sommes. Après Copernic, la cosmologie héliocentrique a déplacé la Terre et donc l’humanité du centre de l’univers. Darwin a montré que toutes les espèces vivantes ont évolué au fil du temps depuis des ancêtres communs et par la sélection naturelle, déplaçant ainsi l’humanité du centre du monde biologique. À la suite de Freud, nous reconnaissons de nos jours que l’esprit est aussi inconscient et sujet au mécanisme de défense du refoulement. Donc, nous ne sommes pas immobiles, au centre de l’univers (révolution copernicienne), nous ne sommes pas d’une nature distincte et différente du reste du règne animal (révolution darwinienne), et nous sommes très loin d’être des esprits purement rationnels entièrement transparents pour nous-mêmes (révolution freudienne).

Freud fut le premier à interpréter ces trois révolutions dans le cadre d’un même processus de réévaluation de la nature humaine, et ce, bien que sa perspective ait été ouvertement égocentrique. Mais si l’on remplace Freud par les neurosciences, nous pouvons encore trouver ce cadre utile pour expliquer l’intuition selon laquelle quelque chose de très significatif et profond s’est récemment produit à propos de la compréhension de nous-mêmes. Depuis les années cinquante, l’informatique et les TIC ont exercé une influence à la fois extravertie et introvertie, modifiant fondamentalement non seulement nos interactions avec le monde, mais également les conceptions essentielles sur ce que nous sommes. Nous ne nous interprétons plus comme des entités autonomes, mais plutôt comme des organismes informationnels interconnectés, ou des inforgs, qui partageons avec les agents biologiques, artificiels, ou hybrides, et avec les artefacts issus de l’ingénierie, un environnement global qui est au final constitué d’information – l’infosphère. Tel est l’environnement informationnel, constitué par l’ensemble des processus d’information, des services et des entités, y compris les agents d’information, leurs propriétés, leurs interactions, et leurs relations mutuelles. La révolution numérique est donc mieux comprise comme une quatrième révolution dans le processus de dislocation et de réévaluation de notre nature fondamentale et de notre rôle dans l’univers. Pour autant que nous le sachions, nous sommes les seuls moteurs sémantiques dans l’univers. Nous sommes nés pour être des inforgs et nous poursuivons notre programme informationnel sans relâche au moins depuis l’âge du bronze, l’époque qui marque l’invention de l’écriture en Mésopotamie et dans d’autres régions du monde (au 4e millénaire avant JC).

La révolution numérique renouvelle notre point de vue de tous les jours sur nous-mêmes et sur la nature ultime de la réalité, c’est-à-dire qu’elle transforme notre métaphysique depuis un point de vue matérialiste, selon lequel les objets physiques et les processus jouent un rôle clé, vers un point de vue informationnel. Les objets et les processus sont de plus en plus considérés comme “dé-physicalisés”, dans le sens où ils ont tendance à être traités comme indépendants de leurs supports (considérez par exemple un fichier de musique). Ils sont “typifiés”, catégorisés comme des types dans le sens où une instance d’un objet – ma copie d’un fichier de musique – est aussi valable que son type – le fichier de musique dont ma copie constitue une instance. Et ils sont supposés être parfaitement clonables par défaut, dans le sens où ma copie et votre original deviennent interchangeables. Et moins de contrainte sur la nature physique des objets et des processus signifie que le droit d’usage est perçu comme étant au moins aussi important que le droit de posséder. Le P2P ne signifie pas Pirate à Pirate mais Platonicien à Platonicien, car c’est la nature immatérielle des choses qui sous-tend le phénomène. Enfin, le critère d’existence – ce que cela signifie pour une chose d’exister – n’est plus effectivement immuable (les Grecs pensaient que seul ce qui ne change pas peut pleinement exister), ni potentiellement soumis à la perception (la philosophie moderne a insisté sur le fait qu’une chose devait être perceptible par les cinq sens pour exister), mais il est potentiellement soumis à l’interaction, même si celle-ci est impalpable. Être, c’est être sujet à interaction, même si l’interaction est seulement virtuelle.

Une conséquence importante est que nous nous dirigeons rapidement vers une marchandisation des objets qui considère que la réparation est synonyme du remplacement, même quand il s’agit de bâtiments entiers. Cela a conduit, en contrepartie, à une hiérarchisation des marques d’information et à la réappropriation : la personne qui place un autocollant sur la fenêtre de sa voiture – qui est par ailleurs parfaitement identique à des milliers d’autres – lutte pour son individualisme. La quatrième révolution a encore exacerbé ce processus. Quand le lèche-vitrine [window-shopping] devient achat depuis Windows [Windows-shopping] et ne signifie plus marcher dans la rue mais naviguer sur le Web, notre sentiment d’identité personnelle commence à se détériorer. Au lieu d’être perçus comme des individus, des entités uniques et irremplaçables, nous devenons des produits de masse, des entités anonymes parmi d’autres entités anonymes, exposées à des milliards d’autres inforgs similaires également en ligne. Nous pratiquons donc l’auto-promotion et nous nous réapproprions nous-mêmes dans l’infosphère en utilisant les blogs, les albums Flickr, les pages web et les vidéos sur YouTube. Il n’y a pas de contradiction entre une société si soucieuse de la confidentialité et le succès de services comme Facebook. Nous utilisons et exposons des informations sur nous-mêmes de façon à devenir moins anonymes du point de vue informationnel. Nous tenons donc à maintenir un niveau élevé de protection des renseignements personnels parce que nous souhaitons sauvegarder un capital précieux qui peut être ensuite publiquement investi par nous-mêmes afin de nous construire en tant qu’individus uniques, perceptibles comme tels par les autres.

Tout cela fait partie d’une évolution métaphysique plus profonde provoquée par la quatrième révolution. Au cours de la dernière décennie, nous nous sommes habitués à conceptualiser notre vie en ligne comme un mélange entre d’une part une adaptation évolutive des agents humains à un environnement numérique, et d’autre part une forme de post-modernité, de néo-colonisation de cet espace par nous-mêmes. La vérité pourtant est que la révolution numérique constitue autant un changement de notre monde que la création de nouvelles réalités. Le seuil entre le ici (l’analogique, ce qui est basé sur le carbone, le off-line) et le là-bas (le numérique, ce qui basé sur le silicium, le on-line) s’estompe rapidement, mais ceci est autant à l’avantage du dernier terme que du premier. Le digital se répand sur l’analogique et fusionne avec lui. Cette informatisation croissante des artefacts, des identités et de l’ensemble des environnements sociaux et activités de la vie donne à penser que bientôt il sera difficile de comprendre ce qu’était la vie dans les temps pré-numériques, et que, dans un proche avenir, la distinction même entre on-line et off-line va disparaître. L’expérience commune qui consiste à conduire une voiture en suivant les instructions d’un GPS permet de comprendre en quoi il devient inutile de se demander si l’on est en ligne. Pour le dire de façon spectaculaire, l’infosphère absorbe progressivement tout autre espace. Nous vivons “onlife” et vos Nike et votre iPod vont se parler d’ici peu.

À l’heure actuelle, les générations plus âgées considèrent toujours le cyberespace comme quelque chose dont on se connecte et se déconnecte. Notre vision du monde (notre métaphysique) est toujours moderne ou newtonienne : elle est constituée de voitures, bâtiments, meubles, vêtements, réfrigérateurs, qui sont “morts”, non interactifs, insensibles et incapables de communication, d’apprentissage ou d’enregistrement. Mais dans les sociétés avancées de l’information, ce que nous vivons encore comme le monde off-line est appelé à devenir un environnement pleinement interactif et plus réactif, constitué de processus d’information sans fils, omniprésents, distribués, un environnement qui fonctionne de n’importe quelle chose à n’importe quelle chose [a2a – anything to anything], partout et n’importe quand [a4a - anywhere for anytime] et en temps réel. En conséquence, nous vivrons dans une infosphère que deviendra de plus en plus synchronisée (relativement au temps), délocalisée (relativement à l’espace) et corrélée (relativement aux interactions). Cela nous invite d’abord progressivement à comprendre le monde comme quelque chose de “a-live” (artificiellement vivant). Les choses sont de moins en moins inanimées, même si leurs nouvelles “âmes” sont numériques. Cette animation digitale du monde conduira ensuite, paradoxalement, à rendre notre façon de voir plus proche de celles des cultures pré-technologiques qui interprétaient tous les aspects de la nature comme habités par des forces. Seul Ulysse pouvait bander son arc mythique. Aujourd’hui, seul un utilisateur portant un anneau spécial avec un code unique peut déverrouiller la gâchette d’un iGun™.

En raison de cette reconceptualisation informationnelle de notre métaphysique, il deviendra normal de considérer le monde comme une partie de l’infosphère, non pas tant dans le sens dystopique exprimé par un scénario analogue à celui du film Matrix, où la “réalité réelle” est toujours aussi dure que le métal des machines qui l’habitent, mais dans un sens évolutif et hybride représenté par un environnement comme New Port City, la métropole fictive et post-cybernétique de Ghost in the Shell. À l’issue de cette mutation, le concept d’infosphère se sera déplacé depuis un moyen de se référer à l’espace de l’information jusqu’à devenir un synonyme de la réalité.

Les révolutions précédentes, en particulier celle de l’agriculture et la révolution industrielle, ont provoqué à long terme des transformations macroscopiques dans nos structures sociales et nos environnements physiques, souvent d’ailleurs sans beaucoup de prévoyance. La révolution numérique n’est pas moins dramatique. Nous rencontrerons des problèmes si nous ne prenons pas au sérieux le fait que nous sommes en train de construire le nouvel environnement qui sera habité par les générations futures. La meilleure manière d’aborder les nouveaux défis éthiques posés par la révolution numérique consiste sans doute à le faire à partir d’une approche environnementale ; pas celle qui privilégierait le naturel ou l’intégrité, mais plutôt celle qui traite comme authentiques et véritables toutes les formes d’existence et de comportement, même celles qui sont basées sur des artefacts synthétiques et issus de l’ingénierie. Cette sorte de e-environnementalisme synthétique exige un changement dans notre point de vue sur la relation entre la physis (la nature, la réalité) et la technè (la pratique des science et ses applications).

La question de savoir si la physis et la technè peuvent être conciliées ne possède pas une réponse prédéterminée qui attendrait d’être devinée. Il s’agit d’un problème pratique dont la solution réalisable doit être inventée. Pour prendre une analogie, nous ne demandons pas de savoir si deux produits chimiques pourraient se mélanger mais plutôt de savoir si un tel mariage peut réussir. Une réponse positive est tout à fait envisageable à condition que les bons engagements soient réalisés. Un mariage réussi entre la physis et la technè est sans aucun doute vital pour notre avenir et cela mérite nos efforts soutenus. Essayez d’imaginer le monde non pas demain ou l’année prochaine, mais au prochain siècle ou au prochain millénaire : un divorce entre la physis et la technè serait absolument désastreux tant pour notre bien-être que pour la bonne qualité de notre habitat. Une chose que les technophiles et les fondamentalistes verts doivent comprendre, c’est que l’échec d’une négociation de la relation féconde et symbiotique entre la technologie et la nature n’est pas une option.

Un mariage réussi entre la physis et la technè est heureusement réalisable. Certes, beaucoup de progrès doivent encore être réalisés. La physique de l’information peut être très gourmande en énergie et donc potentiellement hostile envers l’environnement. Mais la révolution numérique peut nous aider dans notre lutte contre la destruction, la paupérisation, le vandalisme et le gaspillage des ressources naturelles et humaines, y compris les ressources historiques et culturelles. Nous devons résister à toute tendance à traiter, comme les Grecs le faisaient, la technè comme la Cendrillon de la science ; résister aussi à toute velléité absolutiste consistant à n’accepter aucun équilibre moral entre un mal inévitable et davantage de bien ; et résister enfin à toute tentation métaphysique moderne et réactionnaire d’enfoncer un coin entre le naturalisme et le constructivisme, en privilégiant le premier comme étant la seule dimension authentique de la vie humaine. Le défi consiste à réconcilier nos deux rôles, comme organismes informationnels et agents au sein de la nature d’une part, et en tant que régisseurs de cette nature d’autre part. La bonne nouvelle c’est qu’il s’agit d’un défi que nous pouvons relever. La chose bizarre c’est que nous comprenons lentement que nous possédons une telle nature hybride. Le point crucial dans ce processus d’auto-compréhension est ce que j’ai défini ci-dessus comme la quatrième révolution.

Luciano Floridi donnera le 19 novembre 2009 (17h à 19h) à Paris, une conférence publique intitulée The Fourth Revolution.

Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI)
Faculté de Médecine, site Cochin Port-Royal, Université Paris Descartes, 24, rue du Faubourg Saint Jacques 75014 Paris

Pour approfondir :

Le blog de Luciano Floridi et son site Internet

Un autre article traduit par Patrick Peccatte : Web 2.0 contre web sémantique, un point de vue philosophique

» Article initialement publié sur http://blog.tuqoque.com

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http://owni.fr/2009/11/04/la-revolution-numerique-consideree-comme-une-quatrieme-revolution/feed/ 2
Le numérique fantasmé à l’écran retarde la compréhension et l’adoption du numérique réel par les migrants digitaux http://owni.fr/2009/06/15/le-numerique-fantasme-a-l%e2%80%99ecran-retarde-sa-comprehension-et-son-adoption-par-les-migrants-digitaux/ http://owni.fr/2009/06/15/le-numerique-fantasme-a-l%e2%80%99ecran-retarde-sa-comprehension-et-son-adoption-par-les-migrants-digitaux/#comments Mon, 15 Jun 2009 16:28:12 +0000 [Enikao] http://owni.fr/?p=1669 Les erreurs persistantes dans les films sont légion, les pénibles dans mon genre s’insurgent souvent et certains ont même franchi le pas en collectant l’ensemble des aberrations et anachronismes. Qu’il s’agisse de canons napoléoniens sans recul, de soldats de la Wehrmacht aux cheveux plus longs que 2 cm, de bruits de tirs spectaculaires (ceux qui tirent à balle réelle savent que le bruit est très sec), de sons dans le vide sidéral (une TIE Fighter et son bruit caractéristique), ou encore de gens qui parlent spontanément tous la même langue alors qu’ils sont étrangers les uns aux autres, la liste est longue, très longue.

Dans n’importe quel film ou série, en particulier dans les films policiers depuis quelques années, le numérique joue de plus en plus un rôle important : consultation de fichiers, recherche d’indices, analyse de l’ordinateur d’une victime ou d’un suspect, recoupement d’informations, le petit et le grand écran ont intégré l’informatique et les objets numériques. Mais il doit s’agir d’un monde parallèle, qui ne se comporte pas comme le notre. Les aberrations sont de différente nature. Petit panorama, et réflexion sur les effets de cette construction mentale.

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  • Comme à la regrettée Samaritaine, on trouve tout sur le web, en particulier des bases de données contenant des choses complètement invraisemblables : listings de voyageurs, factures électroniques, appels passés, actes de mariage, j’en passe et des plus incongrus. A côté, les croisements de fichiers dont rêvent de nombreux Etats (fichiers judiciaires, consommation, bancaires, protection sociale…) feraient presque pâle figure.
  • Les réseaux se forcent comme un rien et on peu pirater à peu près tout très facilement, films et séries adorent avoir un petit malin (plus rarement au féminin, en France il y eut la pimpante Pimprenelle) capable de pénétrer dans un réseau sécurisé, de forcer des accès, de remonter jusqu’à des ordinateurs maîtres à partir d’un esclave, d’espionner des caméras d’un réseau de surveillance, de faire fonctionner certains automates… Voilà qui participe à la crainte aveugle moranoïaque pour les néophytes qui se disent qu’à partir d’une simple adresse mail leurs comptes bancaires risquent d’être siphonnés et leur vie personnelle mise sur la place publique.
  • Le temps d’attente n’existe pas : tout charge instantanément, ou le plus vite possible quand il faut vraiment montrer quelque chose qui défile comme par exemple un rapprochement d’informations ou un listing défilant. On imagine sans mal la puissance de calcul colossale de ce genre de bécanes.
  • Personne n’utilise de services ou de logiciels connus du grand public, qu’il s’agisse d’un navigateur, d’une page d’accueil de fournisseur d’accès à Internet, d’un portail du service public ou encore d’un simple client e-mail. Peut-être est-ce une question de placement de produit, toujours est-il que le débutant ne reconnaîtra rien de son quotidien.
  • Les logiciels sont très avancés. Ergonomiques et modernes, graphiquement beaux, ils sont complets, fonctionnant par pop-up ou widgets pour les rapprochements photo / identité / empreinte : jamais on ne voit deux fenêtres ouvertes, ou une navigation entre deux fenêtres. Tout se fait uniquement au clic gauche, et en un seul clic s’il vous plaît ! Ces logiciels affichent d’ailleurs tout en gros, en très gros. Ainsi même à 10 mètres on peut voir ce qui se passe à l’écran.
  • Technique, ligne de code, analyse et outils informatiques restent l’apanage de quelques spécialistes. Parmi les personnages de la fiction, les rôles sont nécessairement partagés, il y a ceux qui savent s’en servir et les autres, ceux qui demandent l’information. Jamais on n’assiste à une démonstration, un apprentissage. Les outils numériques sont du ressort de spécialistes. Chasse gardée !
  • Il y a encore très peu d’usage des réseaux sociaux, mais ça devrait arriver prochainement. Les possibilités sont pourtant nombreuses pour les scénaristes: trouver une piste dans les commentaires d’un blog, regarder qui sont les friends sur Facebook et MySpace pour établir un graphe social, vérifier l’historique des conversations MSN pour identifier un réseau, analyser par stéganographie des images échangées par courrier électronique pour voir si des photos anodines ne comportent pas un message codé, découvrir un profil bis qui permet une double vie en ligne… Gageons que la présentation des nouveaux moyens de communication interpersonnels se fera sous l’angle négatif.
  • Le plus risible reste encore le son. N’importe quelle application produit de petits bruits (blip, xzzz ou encore bidibidibidi) et ce même si personne ne touche à rien et que l’ordinateur est simplement allumé en arrière plan, sans tâche de fond particulière. Un moyen d’indiquer qu’il y a une âme dans la machine ? Plus fort encore, la plupart du temps les ordinateurs qui semblent par leurs petits couinements rendre un hommage numérique à R2D2 ne sont même pas équipés de haut-parleurs…

Côté mobilité, les films et téléfilms sont également à la traîne par rapport aux pratiques déjà courantes.

  • Les sonneries de téléphone mobile, même les appareils qui manifestement des smartphones dernier cri, sont pathétiques de nullité et ressemblent à un mauvais fichier midi. Aucun personnage de fiction ne personnalise ses sonneries, mais aucun ne regarde son écran pour savoir qui appelle avant de décrocher. Et personne ne met son téléphone portable en mode vibreur.
  • Personne n’envoie d’e-mail ou ne consulte Internet depuis un téléphone mobile ou un ordinateur portable, même en 3G. Internet, c’est encore réservé à la machine posée sur le bureau. Alors que les offres commerciales existent depuis longtemps déjà… et l’usage aussi !
  • Le Wi-Fi (si on en parle, mais comme de toute façon ce n’est pas montrable à l’écran…) fonctionne toujours, les réseaux ne coupent jamais (sauf cas rare et pour les besoins du scénario).

Tout ceci paraît bien anodin, mais en réalité c’est assez gênant car petit et grand écran participent à la création d’un imaginaire collectif. Pour celui qui n’est pas historien, policier, technicien, réparateur auto, balisticien, physicien, l’image fait plus ou moins foi. Car on peut se dire légitimement, si on ne cherche pas à aller plus loin et/ou si l’on ne dispose pas des connaissances spécialisées, que c’est une reconstitution à peu près fidèle et que ça doit ressembler (ou ressemblait) à ce que l’on nous montre. Il est dommage que l’on nous présente une version faussée de l’histoire, ou de la physique dans certains cas bien particuliers, mais de toute façon cela ne nous touchera pas dans notre quotidien, d’abord parce que le voyage dans le temps ne fonctionne que dans un sens dans un même référentiel (au rythme d’une seconde par seconde), ensuite parce que les voyages dans l’espace, le tir à balles réelles ou les cascades en voiture ne concernent pas encore grand monde.

En revanche, pour ce qui est du numérique, c’est bien plus dommageable, car nous sommes dans un univers plein d’objets électroniques, où les réseaux, les télécommunications et Internet sont une réalité… au quotidien ! Pour un migrant digital, l’image qu’on lui propose des outils numériques de ces mondes virtuels (ou de cette nouvelle couche ?) est néfaste et angoissante. C’est un monde d’outlaws sans sheriffs, un univers de spécialistes qui s’y connaissent où les autres se font plumer ou dénigrer, un domaine qui tient de la magie car les choses s’y font comme par miracle et sans rapport avec d’autres univers plus grand public. Il n’y a aucune notion de limites : on trouve absolument tout, on peut toujours tout obtenir et pénétrer impunément n’importe quel réseau, rien ne demande de temps il suffit d’avoir le bon outil et la bonne technique, personne ne se heurte à des problèmes de compatibilité de formats ou d’interopérabilité.

Parce que petit et grand écran contribuent à la fabrique de nos représentations mentales de notre société et de notre histoire comme de notre présent (on dira Weltanschauung pour faire chic et briller dans les salons), il serait temps qu’ils contribuent également à vulgariser l’informatique, Internet, les réseaux sociaux et les appareils électroniques du quotidien avec davantage de fidélité à la réalité. Vulgariser au sens de démystifier, rendre populaire, faire comprendre, effectuer un peu du travail pédagogique qui manque dans les parcours scolaires. Les fictions françaises peinent déjà côté audiences en raison de scénarios planplan, de rythmes lents, d’un manque cruel de créativité dans les intrigues autant que dans les stéréotypes de personnages (faire d’un médecin toxicomane et misanthrope notre héros ? vous n’y pensez pas !) et d’un ancrage dans un proche passé intemporel (aucune référence à un événement historique daté) rassurant qui éloigne un moment le téléspectateur des turpitudes de son quotidien.

Et si on commençait à faire preuve d’ambition, de créativité, et de réalisme ? La connivence que prônent les grandes chaînes (le slogan de France 3 est : De près on se comprend mieux, la signature de la campagne publicitaire de TF1 est On se retrouve sur TF1) est encore au stade des mots. Il s’agit de s’y mettre dans les faits. Ou résumé en deux mots : moteur, action !

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