OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Aliens au cinéma: le vrai d’UFO http://owni.fr/2011/08/04/super8-aliens-ovnis-culture-populaire-soucoupe-ufo/ http://owni.fr/2011/08/04/super8-aliens-ovnis-culture-populaire-soucoupe-ufo/#comments Thu, 04 Aug 2011 15:17:48 +0000 pierre lagrange http://owni.fr/?p=75392 Aujourd’hui (3 août 2011), sort sur les écrans, Super 8, du réalisateur américain J.J. Abrams (Lost, Star Trek etc). Le sujet rapidement : dans une petite ville américaine, en 1979, des adolescents passionnés de cinéma s’improvisent réalisateurs et acteurs pour tourner leur film d’horreur (qu’ils veulent présenter à un festival). Alors qu’ils tournent une scène de nuit en utilisant la gare voisine comme décor, ils assistent au déraillement, particulièrement spectaculaire, d’un train de marchandises. Mais s’agit-il d’un accident ?

Rapidement, le spectateur comprend que quelque chose se trouvait dans ce train. Quelque chose dont personne ne doit apprendre l’existence et qui attire dans le village une armada de militaires, pendant que des événements étranges et inquiétants se succèdent: phénomènes étranges, disparitions inexpliquées de personnes.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Révisez vos classiques!

Il serait dommage de dévoiler l’intrigue de ce film, très réussi à mon sens, pour ceux qui iront le voir. Disons qu’il est une remarquable évocation de la « mythologie soucoupique » et de l’univers du cinéma populaire américain de la fin des années 1970.

Évidemment, si vous ne maîtrisez pas bien vos classiques, vous risquez de manquer une partie de ce qui fait le charme de cette œuvre. Super 8 fait toute une série de clins d’œils aux films qui ont rendu son producteur, Steven Spielberg, célèbre, et notamment à Rencontres du 3e type (Close Encounters of the Third Kind, 1977) et ET (1982). Le groupe d’enfants engagés dans une partie de cache-cache avec les militaires est un écho à certaines scènes culte de ce dernier. L’opération de désinformation évoquant la dispersion accidentelle de matières dangereuses prétendument transportées par le train qui permet d’évacuer la population est un clin d’œil à Rencontres du 3e type.

Surtout, le film s’appuie sur un contexte précis. Évidemment, il est possible de l’apprécier sans maîtriser ce contexte, mais plus vous le connaissez, plus vous en profiterez. Super 8 emprunte à la « mythologie » de Roswell, de la Zone 51 et des conspirations pour cacher la vérité sur les ovnis. On constate qu’aujourd’hui, ce contexte est tellement bien partagé par la majorité d’entre nous qu’il peut servir de toile de fond à un film sans nécessiter au préalable d’explication particulière. Le même film n’aurait pas pu être tourné il y a vingt ans. On constate d’ailleurs qu’entre les films de l’âge d’or, comme La Chose d’un autre monde (The Thing, 1951), Le jour où la Terre s’arrêta (The Day the Earth Stood Still, 1951), Planète interdite (Forbidden Planet, 1956) et les films d’ovnis sortis ces dernières années, il y a souvent un fossé. On a souvent dit que les soucoupes des films des années 1950 et 1960 étaient inspirées par le contexte de la guerre froide.

Aujourd’hui, les films de soucoupes volantes s’inspirent des théories lancées par les ufologues (de UFO, Unidentified Flying Object, ovni en américain) sur des complots autour de soucoupes écrasées et récupérées en grand secret par l’armée américaine.

Quand Spielberg popularisait les soucoupes

Quand sommes-nous passés d’un registre à l’autre ? Un film incarne ce passage : Rencontres du 3e type, sorti en 1977. Le premier film qui ne s’inspire plus des films de soucoupes des années 1950 mais qui puise ses sources dans la « sub-culture » ufologique, la culture alors très marginale des amateurs d’ovnis. Steven Spielberg a écrit son scénario avec sur sa table de travail quelques ouvrages classiques, et notamment — ce que personne n’avait relevé jusqu’ici faute de connaître la culture ufologique aussi bien que la culture cinématographique, deux univers populaires qui s’ignorent — le livre de l’astronome américain et ex-conseiller de l’air force J. Allen Hynek, The UFO Experience : A Scientific Inquiry (1972, Hynek deviendra d’ailleurs le consultant du film et fera une apparition à la fin, parmi les savants réunis sur la “face cachée de la lune”). Les histoires mises en scène dans Rencontres sont inspirées des grands faits divers du milieu des années 1960 impliquant des ovnis. Notamment la poursuite d’objets lumineux par des voitures de police, qui transpose à l’écran une histoire tout à fait réelle [en], celle du policier américain Dale Spaur. Après son observation, sa vie bascule comme bascule la vie de Roy Neary dans le film. Il perd son travail, sa femme le quitte. Avec Rencontres du 3e type, Steven Spielberg est le premier à extraire l’ufologie de sa marginalité culturelle. Et avec quelle maestria!

Mais, malgré son impact formidable à l’époque, Rencontres du 3e type ne va pas demeurer dans la mémoire collective. Pas autant que des films comme Star Wars par exemple, qui s’inspirent d’une conception beaucoup plus « classique » de la science-fiction : le “space-opéra”, né dans les pulps des années 1920. Il faut dire que Rencontres n’a pas eu de suite (l’Édition spéciale sortie en 1980 ne peut réellement être considérée comme une suite, tout au plus une tentative des studios pour capitaliser sur le succès du film en proposant quelques images inédites qui, à l’exception de la scène de la découverte du Cargo dans le désert de Mongolie, altèrent la qualité de l’œuvre).

Pourtant, aujourd’hui, les thèmes mis en scène dans Rencontres du 3e type en 1977 — manipulation orchestrée par l’armée, problèmes rencontrés par les témoins, caractéristiques des phénomènes, pannes de courant, calages de véhicules, etc — nous sont désormais familiers. De quand date cette familiarité, notamment avec la théorie de la “conspiration pour étouffer la vérité sur l’affaire de Roswell” ? Peut-on seulement la dater ? C’est possible et même de façon très précise : c’est au cours de l’été 1995 que l’affaire de Roswell et l’histoire des secrets américains sont devenus des éléments de notre culture générale.

La théorie du complot

Rappelez-vous : à l’été 1994, la première saison de la série télévisée X-Files, avec les inoubliables Fox Muler et Dana Scully, est diffusée sur M6. Mais à l’époque, la série ne passionne pas le public français. Et le nom de Roswell évoqué par les deux enquêteurs du FBI ne leur rappelle rien. Ce nom est tellement peu connu que même les traducteurs de la série s’y perdent. Dans un épisode, ils commettent une erreur en traduisant des lignes de dialogue de Fox Mulder. Les traducteurs croient que l’enquêteur du FBI parle d’une personne qui s’appelle Roswell, et non d’une ville du Nouveau-Mexique où une soucoupe se serait écrasée en 1947. Conséquence : une erreur de traduction qui passe inaperçue, des téléspectateurs sauf des quelques spécialistes qui regardent — et apprécient déjà !— la série. Pourtant, la première saison passe relativement inaperçue.

Aux États-Unis, la série connaît déjà un grand succès. En effet, la culture ufologique y est plus largement diffusée. Depuis le début des années 1950, grâce à un auteur nommé Frank Scully (rien à voir avec Dana Scully), de nombreuses rumeurs de crashs de soucoupes volantes ont circulé. Outre le film Rencontres du 3e type, l’auteur à succès Charles Berlitz, connu pour ses best-sellers sur le Triangle des Bermudes, publie en 1980 un livre, The Roswell Incident, le premier qui dévoile l’histoire d’un crash de soucoupe dans les environs de Roswell. Le livre est un best-seller. Également et surtout, en 1994, au moment où X-Files commence à être diffusé, le Congrès américain s’intéresse à cette histoire sous la pression des contribuables de l’État du Nouveau-Mexique et de son Sénateur, Steven Schiff. L’US Air Force est sommée de s’expliquer sur ce qu’elle aurait pu cacher. Elle rend public un volumineux rapport rempli de copies d’archives autrefois secrètes. Oui, quelque chose est bien tombé à Roswell. Oui, la chose était secrète et l’armée a caché la vérité. Non il ne s’agissait pas d’une soucoupe, mais de ballons équipés d’appareils destinés à espionner les Soviétiques et leurs progrès dans le domaine atomique. Une partie de l’opinion pense que l’armée continue à cacher quelque chose.

En France, où tout cela est peu connu (la simple idée que notre Assemblé Nationale puisse exiger de l’armée de l’air la vérité sur les ovnis nous paraît un scénario de série B), X-Files ne connaîtra le succès qu’au moment de la diffusion de la deuxième saison en 1995. Mais quel succès! Un véritable phénomène de société! Pourquoi ? Que s’est-il passé dans l’intervalle qui a familiarisé le public français avec les thèmes de la série ?

Ce qui a permis de populariser la série X-Files, c’est la diffusion, par un producteur anglais, auprès des grandes chaînes de télévision, d’une mystérieuse vidéo montrant l’autopsie d’un prétendu ET tombé à Roswell. Diffusé en France par TF1, cette vidéo d’autopsie provoque une controverse nationale en France au cours de l’été. Les Guignols s’emparent même de l’histoire et mettent le pauvre ET autopsié à toutes les sauces.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Les articles et débats télé et radio se multiplient au cours de l’été. Tant et si bien, qu’à la rentrée 1995, plus personne n’ignore plus le nom de Roswell. Tout le monde sait désormais qu’en 1947 une soucoupe s’est écrasée avec ses pilotes, que l’engin et ses « Martiens » ont été récupérés par l’armée américaine qui a caché le tout dans une base secrète. Le nom de la Zone 51 (Area 51), une base militaire secrète localisée dans le Nevada, où seraient cachés soucoupes et pilotes se diffuse peu à peu (remplaçant l’ancien Hangar 18 de la base de Wright-Patterson, célèbre dans les années 1970, mais aujourd’hui bien oublié).

Pendant plusieurs années, grâce à son succès phénoménal, la série X-Files va populariser la thématique des crashs de soucoupes volantes et des secrets militaires sur les ovnis.

Ovnis au quotidien

Aujourd’hui, ces thèmes font partie de notre culture commune. Dans les années 1970, à l’époque où la télévision était étroitement contrôlée par l’État, il y avait très clairement une culture officielle (« les soucoupes n’existent pas et sont une croyance populaire », pour en parler à la télé, on invitait un psychiatre et un astronome sceptique) et une sous-culture marginale (celle des passionnés d’ovnis, regroupés en associations loi 1901, éditeurs de petits bulletins ronéotés introuvables). Aujourd’hui, avec la multiplication des chaînes privées et des sources d’information sur Internet, nous assistons à la coexistence de plusieurs cultures : nous sommes tous un peu amateurs de complots et la façon dont l’actualité est présentée par les grands médias emprunte beaucoup aux codes de ce qui était autrefois une culture marginale. Regardez les actualités, elles regorgent de révélations sur des conspirations. Impossible d’évoquer l’actualité politique ou la finance internationale sans évoquer les complots que les banques et les grands trusts industriels, pétroliers ou de l’agro-alimentaires, mettent en place pour étendre leur pouvoir.

Dans un tel contexte, et après les bouleversements opérés sur nos cadres de pensée après les attentats du 11 septembre, où la réalité et la fiction se sont brutalement télescopées, la « croyance aux ovnis » est de moins en moins vécue comme une culture marginale. Entre les années 1970 et aujourd’hui, nous sommes passés d’une hiérarchie stricte entre les « savoirs » et les « croyances » à une cohabitation des cultures.

Super 8 n’est pas comparable à Rencontres du 3e type ni à ET, mais c’est un vrai bon film populaire. Les amateurs du genre ne seront pas déçus. Ceux qui avaient alors l’âge des héros du film se souviendront des histoires de soucoupes ou de zombies qu’ils écrivaient à la fin des années 1970 sur leurs cahiers d’écoliers, et finissaient parfois par tourner à l’aide de la caméra super 8 empruntée à leurs parents.

Billet initialement publié sous le titre “Super 8” sur le site Culture Visuelle

Illustrations: Flickr CC PaternitéPas de modification Markusram / capture d’écran de la Une du Parisien du 4 août 2011

]]>
http://owni.fr/2011/08/04/super8-aliens-ovnis-culture-populaire-soucoupe-ufo/feed/ 11
Quand la Pub s’empare de la culture club http://owni.fr/2011/02/15/quand-la-pub-sempare-de-la-culture-club/ http://owni.fr/2011/02/15/quand-la-pub-sempare-de-la-culture-club/#comments Tue, 15 Feb 2011 10:48:15 +0000 Alexandre Daneau http://owni.fr/?p=30324 Alexandre Daneau est sociologue depuis quelques mois et doctorant à l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales). Il décrypte ici l’étrange paradoxe que subissent (ou pas) les sous-cultures.

(NDRL) Ce très court texte n’a pas la pureté sociologique d’un papier destiné à une revue. La démonstration argumentative est ici réduite à sa plus simple expression. Il ne vise pas à non plus à critiquer « la marchandisation » de la sous-culture techno. Cette notion n’a strictement aucun sens d’ailleurs. Il pose seulement quelques hypothèses de recherche sous une forme littéraire. Celui qui l’écrit porte des Nike, observe des soirées et cherche à interroger ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont fait vivre et continuent à faire vivre la sous-culture techno au sein du monde social.

La sociologie de la culture s’est beaucoup intéressée à la question de l’imbrication entre les sous-cultures et les industries culturelles. Au lieu de les opposer, de nombreux travaux ont bien mis en lumière les dynamiques de récupération, de déplacements et de reconfiguration qui existent entre elles. Bizarrement, cette tradition de recherches a délaissé la question des procédures de singularisation qui visent à associer des produits de grande consommation à un univers sous-culturel.

La sous-culture techno

Précision sur les termes. Nous parlons de sous-culture en reprenant, avec quelques modifications, le sens que le courant de recherches des Cultural Studies a donné à ce concept: une sous-culture est un système de signes, de valeurs, de représentations et d’attitudes propre à une fraction d’individus socialement située. L’intensité de l’adhésion à une sous-culture peut varier selon l’âge, la position sociale, le statut matrimonial ou encore la situation professionnelle.

Les sous-cultures ne sont pas moins cultivées que la culture scolairement enseignée (littérature, arts plastiques, musiques savantes…). Comme elle, la sous-culture techno, la sous-culture hip-hop ou la sous-culture rock supposent des compétences de déchiffrement adéquates, se décomposent en sous-genres particuliers, restent traversées de conflits sur la définition légitime de leur contenu et imposent un rapport au monde spécifique. Néanmoins, parce que leur diffusion n’emprunte pas les instances officielles et légitimes de socialisation culturelle (i.e. école, famille et politique culturelle publique), la reconnaissance de leur valeur symbolique est limitée à des communautés socialement situées.

Si footing au bois, la forme tu auras.

En puisant dans des codes, des répertoires d’action et des textures d’ambiances propres à une sous-culture donnée, la publicité accomplit une singularisation des produits qui les positionne dans un espace culturel. Opération de magie sociale qui ne va pas sans l’évacuation de certaines dimensions. Quand les rues de Paris se transforment en dancefloor, ce sont les lascars qui restent hors-champ. Un simple reflet de la réalité ?

Jeunes en photos

De quoi s’agit-il ? Une expo ? Non. Un blog dédié à la techno ? Non plus. Une campagne de publicité bien sûr.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Une image d’abord. Un assemblage de photos. C’est la nuit, trois jeunes gens, une femme et deux hommes. Ils courent, sourient benoîtement, envoient des sms, déambulent dans Paris, cherchent le quartier République, finissent leur kebab. Ils portent des tenues de sport aux couleurs criardes (bleu, rose fluo, vert fluo). Ils sont beaux. On comprend que l’aube ne va pas tarder à percer, c’est la fin de soirée. Les photographies semblent avoir été prises sur le vif, sans aucune préparation et sans poses. Elles montrent des scènes ordinaires de la vie nocturne, identiques à celles que la jeunesse prend avec son Iphone et poste ensuite sur sa page Facebook pour immortaliser le dernier samedi soir. Ses lieux d’abord: les couloirs dévorés à toute allure pour « choper » le dernier métro; ses postures ensuite: la capuche enfilée pour déambuler sereinement dans les rues, le visage creusé par la fatigue et l’alcool; ses moments enfin: l’épicerie pour se ravitailler, le kebab en fin de soirée. Sur sa main, un jeune homme a inscrit: « Lâche ton run ».

Vous découvrez une campagne d’affichage que Nike a lancée au début de l’automne 2010. Elle est accompagnée d’une série de vidéos visibles sur internet. La lumière stroboscopique que traversent ces coureurs dans leur parcours et le morceau « french touch 2.0 » (dixit un pote) qui les accompagne dans leur déambulation nocturne reproduisent le dispositif du dance-floor. Le temps de cette vidéo, Paris se métamorphose en club géant. Vous en rêviez, Nike l’a fait.

La culture techno comme sous-culture dominante : « On n’a pas d’avenir mais qu’est-ce qu’on se marre. » (un statut Facebook)

Derrière l’objectif de promouvoir la course à pied comme une activité « cool », « fun » et « complètement délire » dans le cadre d’une stratégie de communication cross-média, cette campagne ratifie le triomphe de la sous-culture techno dans sa contribution à la construction d’un imaginaire commun. Pourquoi s’intègre-t-elle si bien dans l’air du temps? Comment est-elle devenue un horizon culturel partagé et partageable? Trois réseaux de facteurs expliquent selon nous la réhabilitation symbolique et politique (cf. Les Etats Généraux de la Nuit) que connait actuellement cette sous-culture.

Le nouvel esprit du capitalisme

Il faut souligner d’abord que la codification morale proposée par la sous-culture techno (individualisme communautaire et éloge de la singularité), l’attitude qu’elle impose (relâchement du corps et disponibilité émotionnelle), ainsi que les formes de sociabilité qu’elle construit (horizontalité des rapports éphémères, fonctionnement en réseau élargi, négation du social, évacuation des rapports de genre et des rapports de force), s’accordent tout à fait avec le « nouvel esprit du capitalisme ».

L'impératif du Fun en Tout a fait de la coolitude le nouvel accessoire de la bourgeoisie

Ensuite, cette légitimation est le résultat d’un processus de vieillissement sous-culturel conduisant les acteurs qui ont fait vivre cette sous-culture à s’insérer professionnellement dans les métiers de la communication (au sens large). Toutes ces « professions du flou » (communication, marketing, design, journalisme, conseil en tendance…), qui favorisent la valorisation d’un « capital sous-culturel » constitué de compétences non-scolairement sanctionnées (e.g. la capacité d’imagination, de mobiliser des émotions ou de construire un réseau…) effectuent un travail de représentation symbolique et de construction des imaginaires.

Victoire de la sous-culture techno

Enfin, la victoire de la sous-culture techno tient aussi à la composition sociale, hybride mais exclusive, de son public. D’un côté, comme la sous-culture rock, elle recrute une fraction toujours plus grande de son auditoire parmi la jeunesse petite-bourgeoise dont le désenchantement social conduit ses membres à prendre au sérieux la fête à défaut de pouvoir prendre au sérieux la vie. L’allongement de la scolarité, la difficulté à s’insérer sur le marché du travail, l’éclatement de la relation d’emploi typique (CDI) et le sentiment de déclassement qui en résulte désorganisent le processus modal de vieillissement social (boulot, femme, enfants, sortie le weekend) et favorisent la prolongation de cet état d’apesanteur social que représente la vie étudiante. Ces jeunes que nous montre la campagne publicitaire courant sans fin (au double sens du terme) est une métaphore pertinente de ce que vit une partie de la jeunesse déclassée. Pas de point de départ, pas de point d’arrivée, pas d’objectif, alors courons. Oublier temporairement l’extension du domaine de la lutte et chercher à étendre le domaine de la nuit.

Le public des clubs, a fort pouvoir d’achat

D’un autre côté, le public des clubs se recrutent parmi les « professions de la créativité » (design, architecture, doctorant en sociologie…) à fort pouvoir d’achat (sauf le doctorant en sociologie). Formant autrefois la clientèle ponctuelle des free-parties (les « touristes »), ils ont réussi leur scolarité (bac+4, bac+5) et se sont insérés normalement dans des professions bien établies, économiquement rémunératrices et socialement valorisées. Pour eux, la sortie au club ne relève pas (ou plus) d’une adhésion sous-culturelle. Elle est intégrée à un répertoire de pratiques culturelles, au même titre que la lecture du dernier Houellebecq ou la visite mensuelle à Beaubourg. Associer le jogging à l’univers du clubbing dans le cadre d’une campagne publicitaire est une manière de mettre en scène les pratiques de « loisir » de ce groupe social.

L'universalité de la nuit... Mythe ? Utopie ? Ou nouveau modèle économique ?

« Vous avez dit populaire ? » (Pierre Bourdieu)

En transformant l’espace parisien en dancefloor gratuit, libre et accessible à tous, cette campagne publicitaire construit une utopie sociale. Ici, tout le monde est le bienvenu. A condition de porter du Nike, Paris vous appartient, comme la nuit et la fête. Un communisme festif en somme: pas de lutte de tous contre tous pour l’appropriation des corps, pour l’accroissement de la visibilité et pour la captation des attentions. Autrement dit, l’ordre de la représentation publicitaire abolit les rapports de force symboliques et la division sociale du travail festif.

Les membres des classes populaires restent à l’entrée des clubs

Dans ce monde, le processus de délégation du « sale boulot » aux membres des classes populaires n’existe pas non plus : pas de balèzes assurant le contrôle social à l’entrée, pas de lascars assumant la commercialisation des produits devant l’entrée et pas de membres de la Police nationale venus les contrôler tout près de l’entrée. Car c’est ainsi : dans la « vraie » vie, celle, beaucoup plus violente, qui se joue en-dehors de la représentation, les membres des classes populaires restent à l’entrée des clubs.

Soudain, devant cette photo, une autre hypothèse de lecture, plus subversive et plus réjouissante finalement: cette publicité ne nous montrerait-elle pas un groupe de clubbers poursuivi par des lascars venus les dépouiller de leur Nike ?

Alexandre Daneau (Contact : alexandre.daneau[at]hotmail.fr)

Ô jeune, il n’y a plus de places pour toi ici ;

Le monde a vieilli, le monde a failli.

Ak47 dans la bouche, entailles sous la douche;

Somnifères dans un lit, cocaïne en boite de nuit.

Il faut partir ; c’est la vie.

(P’tit Bâtard)

Article initialement publié sur : culturedj sous le titre “Culture Club, communication et nouvel esprit du capitalisme (un article d’alexandre daneau)”.

Crédits CC flickr : c-reelGrégory Bastien

]]>
http://owni.fr/2011/02/15/quand-la-pub-sempare-de-la-culture-club/feed/ 4