La sous-traitance nucléaire explose

Le 22 septembre 2011

Le 12 septembre, un incident nucléaire a eu lieu à Marcoule. L'enquête d'OWNI auprès des salariés du site révèle une gestion un peu folle de la maintenance, faisant largement appel aux sous-traitants. Mauvaise nouvelle pour le dernier plan com' d'EDF.

En début de semaine, EDF jouait les bons élèves en transmettant à l’Autorité pour la Sûreté Nucléaire (ASN) des conclusions très rassurantes à propos de la filière nucléaire française. Pas de chance, cette remise de copie intervient quelques jours après un accident survenu à Marcoule dans le Gard, au Centre de traitement et de conditionnement de déchets de faible activité (Centraco). Sur ce site géré par le groupe EDF, le 12 septembre, l’explosion d’un four d’incinération a tué une personne et en a blessé quatre autres.

Plusieurs enquêtes de l’ASN, de l’Inspection du Travail et la gendarmerie sont en cours pour déterminer les causes de cet incident nucléaire. Mais dès à présent, les différentes personnes travaillant sur place, avec lesquelles nous nous sommes entretenues, expliquent le drame par une gestion approximative de la maintenance, fondée selon eux sur une multiplication des sous-traitants. Ces derniers travaillant le plus souvent dans des conditions préoccupantes. 350 personnes sont employées au Centraco, 210 relevant de contrats de travail passés par le groupe EDF et 140 relevant de plusieurs entreprises de sous-traitance.

Externalisation des risques et multiplication ubuesque des intermédiaires

Concernant la maintenance, auparavant gérée par une filiale d’Areva, STMI, elle est à présent sous l’égide de deux entreprises différentes : Endel, filiale de GDF-Suez pour la maintenance mécanique et SPIE Nucléaire pour la maintenance électrique1. De manière générale, la maintenance est moins coûteuse quand elle est sous-traitée.

José Andrade, délégué CGT de la centrale Cruas-Meysse et sous-traitant du nucléaire depuis une trentaine d’années, explique :

Le but de la sous-traitance, c’est surtout de diluer les responsabilités. L’entreprise sous-traitante a toute la charge sur les épaules et il y a moins de garanties pour les salariés. En externalisant les risques, celui qui délègue écarte toute responsabilité pour l’avenir.

Un accident sur site est comptabilisé dans le nombre d’accidents de travail du prestataire. Et la comptabilité des accidents de travail reste à zéro chez l’entreprise donneuse d’ordre à qui appartient l’installation. Les nomades du nucléaire, comme se surnomment les sous-traitants, subissent les nombreux intermédiaires pour les tâches à effectuer. Un familier du site de Marcoule, nous confie, sous condition d’anonymat :

Le personnel permanent demande à intégrer les équipes de Socodei (NDLR : l’entité juridique du groupe EDF chargée de Marcoule) depuis longtemps. Sans les intermédiaires, l’entreprise gagnerait en efficacité et perdrait moins de temps.

Les deux entreprises en charge de la maintenance placent ainsi des salariés sur Centraco qui évoluent ensemble sous la direction d’un même chef de service du groupe EDF. Qui à son tour doit gérer les résultats des deux sous-traitants, de la simple action de maintenance à l’arrêt technique.

Contrats de maintenance et redistribution des habilitations

Conséquence de ces délégations : une mauvaise organisation et l’obligation d’effectuer des tâches dans des délais raccourcis, parfois en une semaine au lieu d’un mois. Au quotidien, les salariés subissent de concert le stress dû à la charge de travail et les manœuvres en sous-effectifs. Le groupe EDF délègue mais exige de ses sous-traitants que l’installation soit accessible et en fonctionnement 99% du temps. Le 1% restant correspond à l’immobilisation pour maintenance.

Pour Manu Joly, secrétaire général CGT de l’union locale du site de Marcoule, les modifications des relations contractuelles n’arrangent rien :

La durée des contrats de sous-traitance est maintenant passée de 1 à 3 mois. Quand on pouvait avoir des investissements, sur la durée, ou même une volonté de remise aux normes, c’est avant tout parce que les contrats étaient longs. Ce qui n’est plus le cas maintenant. Et l’installation a réintégré certaines manipulations de maintenance, qu’elle sous-traitait jusqu’à présent.

La maintenance, nerf de la guerre pour les exploitants comme pour les sous-traitants, comprend pour les quelques employés de la SPIE DEN et de ENDEL Suez, les gros arrêts techniques, la grosse maintenance.

Causes-conséquences d’un conflit social

Stress, sous-effectif, revendications salariales qui ne sont pas entendues, les griefs ne manquent pas contre la direction et les intermédiaires nombreux rendent les négociations parfois complexes. Mais sous-traitants et permanents s’accordent à trouver la situation tendue. Ce qui explique les différents conflits qui ont éclaté sur Marcoule. L’année 2007 a été marquée par la décision d’Areva2 de quitter la Socodei. Les employés de la filiale de maintenance d’Areva ne demandaient qu’à être intégrés dans les nouvelles équipes d’EDF. Mais avec la garantie de conserver 100% de leurs salaires. Un proche du site explique :

Pour certains, passer chez EDF c’était la panacée !

Pourtant, depuis cette réintégration, régulièrement, les employés de la filiale d’EDF essaient de quitter la Socodei et ses conditions de travail pour l’usine voisine Eurodif Production, détenue par Areva. Sans succès ces derniers temps puisque l’usine fermera ses portes en fin d’année 2012 et sera démantelée à partir de 2016. “On n’embauche plus” confirme une responsable.

Côté sous-traitants, même constat de tension avec en décembre 2010, la décision de la direction de SPIE de la mise à pied d’un de ses salariés. “Sans autre raison qu’un manque de budget pour la prestation, le montant du contrat avait été revu à la baisse.”, avance José Andrade. Après une semaine de grève des salariés de SPIE, le directeur de Centraco est allé à la rencontre du syndicaliste pour lui expliquer qu’il ne pouvait pas intervenir en faveur du salarié :

Concrètement, il ne pouvait pas parlementer avec la direction de SPIE, ses sous-traitants, au risque de faire preuve d’ingérence.

Dans la chaîne d’intervenants on se renvoie la balle mais tout est à la charge de l’entreprise sous-traitante : de la réalisation et de la maintenance de l’ouvrage à la résolution des conflits. Et la fiabilité passe après.

Crédits photos :

Illustrations par Marion Bourcharlat pour Owni

Photos via Flickr: Joséphine Chaplin [cc-by-nc-sa]

Retrouvez l’ensemble du dossier sur le nucléaire :
Sociologie radioactive

La CGT d’EDF atomise les sous-traitants

  1. qui a remplacé en 2004 Polinorsud, filiale de STMI, elle-même filiale d’Areva []
  2. départ effectif en avril 2010 []

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