La France débranche le cyberjihad

Le 16 octobre 2012

Selon des informations recueillies par Owni, ces derniers jours l'administration française a pris des mesures contre le forum d'Ansar al Haqq, un site jihadiste francophone. Les avoirs et les comptes en banque de son responsable présumé viennent d'être gelés, par simple arrêté ministériel.

Je ne suis au courant de rien.

Philippe est surpris au téléphone. Il ne savait pas que ses avoirs financiers étaient gelés en raison de ses ”activités qui promeuvent le terrorisme” selon l’arrêté paru récemment au Journal Officiel. Philippe explique d’abord à Owni qu’il est “converti à l’Islam”. Plus tard dans la conversation, il évoque “un site d’information musulman sur le net”. Ce site, c’est Ansar al Haqq et son forum est connu pour relayer des communiqués d’organes de propagande d’Al-Qaida. Philippe est l’un de ses administrateurs.

Fauchés par l’antiterrorisme

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La décision de geler les avoirs financiers, donc l’argent déposé en banque, est prise par Bercy. Plus précisément par la direction générale du Trésor, sur la base d’éléments qui “émanent du ministère de l’Intérieur”, nous avait répondu Bercy en août. Une mesure administrative donc, qui ne nécessite pas l’accord d’un juge.

Moudjahidin

Le ministère de l’Intérieur et les services spécialisés connaissent bien le forum d’Ansar Al Haqq : à partir de 2008, il fait l’objet d’une attention toute particulière du service spécialisé de la police nationale, la sous-direction anti-terroriste (Sdat). Dans deux notes de la Sdat datées de 2008 qu’Owni a consultées, les policiers écrivent :

Ansar Al Haqq affiche clairement son soutien aux moudjahidin, appelle la communauté musulmane à soutenir le combat contre les mécréants. (…) Le site salafiste djihadiste [est] susceptible de développer par le biais d’Internet des activités en lien avec l’endoctrinement et la propagande en faveur du djihad.

Le bug du cyberjihad

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Dans une autre note datée de 2010, la Sdat évoque un “réel soutien aux organisations terroristes prônant le jihad global (…), la volonté des administrateurs et des modérateurs du site de mettre à disposition de terroristes en activité un outil de communication.” Ansar Al Haqq est décrit par le service antiterroriste comme “une application littérale du jihad électronique”.

Six personnes, modérateurs et administrateurs, avaient été mises en examen au printemps 2010 pour leur participation au forum. L’affaire est toujours à l’instruction, mais plusieurs ont bénéficié d’un non-lieu.

Pirater

Aujourd’hui, le forum d’Ansar Al Haqq n’est plus en ligne. Philippe, l’administrateur, nous a expliqué “ne pas l’avoir fermé [mais] s’être fait pirater” :

On sait que si l’État ne veut pas s’embarrasser de paperasserie, il peut agir quand même.

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Nathalie Szerman, auteure d’un rapport sur le site pour le Memri, un centre de recherche américano-israélien, a longuement étudié le forum. Elle explique reconnaître certains utilisateurs qui, entre autres, “font moins de fautes d’orthographe”, preuve de l’étroite surveillance exercée par les autorités selon elle.

Sur le forum, Le Nouvel Observateur a retrouvé des traces de Jérémie Louis-Sidney, tué chez lui à Strasbourg lors d’une opération de police le 6 octobre. Il était un membre assez peu actif, 26 messages ont été recensés. L’intervention de Strasbourg appartient à un large mouvement d’arrestations. Douze personnes ont été interpellées un peu partout en France – à Cannes et en région parisienne. Sept ont depuis été mises en examen.

La séquence s’est poursuivie par la présentation en conseil des ministres d’un projet de loi antiterroriste, porté par le ministre de l’Intérieur Manuel Valls. Il n’a pas repris les dispositions prévues par le précédent gouvernement pour sanctionner la consultation de sites terroristes, préférant les sanctions administratives contre les responsables de forums.

Depuis ce mardi pourtant, le Parlement examine la possibilité légiférer sur le sujet. Des amendements de l’opposition, soutenus en particulier par l’ancien ministre de la Justice et sénateur UMP Michel Mercier, tentent d’introduire en droit français des dispositifs pour sanctionner des sites web au nom de la lutte antiterroriste.


Ilustration par Owni /-)

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